Le film de Falardeau avance par petites attentions, prenant bien garde à ne pas verser dans le sentimentalisme. L’équilibre est fragile, tant le réalisateur veut parler de tout : difficultés d’intégration d’un immigré à l’étranger, réfugié politique de surcroît ; acceptation de la mort et travail de deuil chez l’enfant, doublé d’un sentiment de culpabilité ; système éducatif à problème, ou le moindre contact est proscrit et où les parents savent toujours mieux que le corps enseignant. C’est sur ce dernier point que Monsieur Lazhar innove : là où Entre les murs se concentrait sur le rapport de force entre professeur et élèves, le film évacue presque intégralement cette notion (Lazhar a finalement peu de mal à se faire apprécier) pour souligner les difficultés à enseigner dans un environnement où le principe de précaution fait loi. Qu’on veuille s’approcher d’un élève, et les soupçons d’abus surgissent ; qu’on tente d’élargir la portée d’une dictée d’une fable de La Fontaine, et les parents rappellent à l’ordre, demandant qu’on se contente d’« enseigner » plutôt qu’« éduquer ».

Monsieur Lazhar n’est pas dénué d’un certain idéalisme, qui lui fait parfois défaut. Ainsi d’une classe un peu trop attentive, de métaphores un rien convenues, ou d’une dénonciation un peu sommaire du suicide par endroits. Il n’empêche que Monsieur Lazhar réussit souvent le dosage, grâce à un sens de l’effet et, surtout, à une grande humilité. Film lyrique, il mouille les yeux, pas parce qu’il est tire-larmes, mais parce qu’il a le goût de la formule et d’un certain réalisme qu’on déteste souvent ailleurs mais qui touche ici. Petite magie dûe aussi et en grande partie aux interprètes : Fellag est irréprochable de tendresse un peu surannée et les enfants, filmés à leur hauteur, d’une immense justesse. Ce n’est pas un film parfait, mais c’est l’inverse d’un film fabriqué – on utiliserait bien l’horrible adjectif « sincère » si tous les films ne l’étaient a priori. C’est un film pour lequel on se prend à douter, venu le moment de le juger : l’aime-t-on pour les bonnes raisons ?
Il y a enfin que Monsieur Lazhar est, sous ses dehors affectueux, un film en colère, sourde mais bien là. Celle d’un homme en colère du sort fait aux immigrés (tracasseries administratives et incrédulité d’une part, acceptation teintée d’excitation de l’exotisme d’autre part), de celui fait aux enfants qu’on laisse seuls face à leur douleur, qu’on quitte « sans dire au revoir ». C’est un film dans lequel les gens partent – pas toujours parce qu’ils meurent d’ailleurs -, partent et ne reviennent pas ; un film qui dit qu’il y a des voyages dont on se passerait. Ce qui est beau, alors, ce sont des choses toute simples : un « merci » chuchoté en fin d’année, une étreinte qu’on sait interdite mais dont on ne saurait se passer. La retenue dont fait preuve Bachir est à l’image de celle d’un film en équilibre, si conscient qu’il pourrait déraper qu’il fait naître l’émotion par son constant frémissement.
À lire : l‘interview de Philippe Falardeau.