Rosalba, guide touristique à Poitiers, est victime d’un bien étrange toc : dès qu’elle entend de la musique, son corps est pris de convulsions et elle se met immanquablement à danser. Quand la musique sort de la fenêtre du voisin, quand un téléphone sonne, quand les orgues résonnent… Il se contracte, se plie aux rythmes. Le corps de Rosalba est burlesque. Drôle bien sûr, mais surtout prisonnier de lui-même. Et c’est autant le rire que la douleur que déclenche le film. Douloureux car, à la différence d’un Buster Keaton – un garçon fort attachant, mais déjà potentiellement déprimant – il ne lui est pas possible de s’adapter aux situations pour se ou les transcender. Rosalba ne peut que fuir, s’éloigner de la musique – et du monde – pour apaiser son mal-être. Elle se condamne au calme et à la solitude. Sa vie s’organise comme un évitement de la musique à l’image de la magnifique carte ciblant les différentes « zones à risque » dans la ville qu’elle établit – l’un des objets les plus poétiques qu’il nous ait été donné à voir depuis longtemps.
Le film trace un sillon rare aujourd’hui. Dans l’esprit et le ton, il peut évoquer une parenté avec le travail du trio Abel-Gordon-Romy – dont La Fée nous avait touché mais seulement à moitié convaincu – avec un sens de la mise en scène qui fait malheureusement défaut à la troupe belge. Econome de mots et d’effets, Je sens le beat qui monte en moi est bavard et riche par les corps et l’exploitation des situations. La longue scène de fête, et donc de danse non encore choisie mais au moins socialement acceptée, se développe ainsi dans l’observation accrue du personnage depuis une autre pièce par son probable futur compagnon qui redouble la position du spectateur avant de la rejoindre. La scène de danse finale, qui la suit de près, est elle tournée quasi intégralement en plan séquence: leurs corps se sont enfin (re)trouvés. Le film est alors affaire de réconciliation : que la danse subie, maudite pour Rosalba, devienne cet élan du cœur qu’elle est pour les autres. Le toc, le handicap, le "syndrome", comme l’appelle le réalisateur, passe alors au second plan. Je sens le beat… raconte l’histoire la plus classique qui soit : boy meets girl. Finalement, il ne s’agit ni plus ni moins que de trouver un être avec lequel danser sa vie. On attend donc avec une impatience non dissimulée des nouvelles de Le Quellec.
À lire : l’entretien avec Yann Le Quellec.