Durant toute la brillante première partie de sa carrière (de Duel à Indiana Jones et le Temple Maudit), Steven Spielberg fut un cinéaste associé à l’entertainment sous toutes ses formes. En grand enfant qu’il était resté, aucune limite n’était de mise pour effrayer, émouvoir ou faire vibrer le spectateur. Ce fut l’heure des premiers chefs-d’œuvre, naïfs, palpitants et décomplexés : Rencontre du troisième type, E.T., Les Aventuriers de l’arche perdue, Les Dents de la mer, 1941… Les triomphes publics étaient contrebalancés par la méfiance critique envers l’amuseur.
Spielberg, en quête de reconnaissance et la maturité l’éloignant de ses œuvres de jeunesse, tenta donc un virage « sérieux » plus ou moins réussi à partir de 1985 (La Couleur pourpre, Always, Empire du Soleil) et se créa une entité annexe pour, selon ses dires, produire les films qu’il ne pouvait plus réaliser mais qu’il avait toujours envie de voir en tant que spectateur. Ce fut Amblin’. Spielberg y accorda une liberté considérable à de grands talents en devenir (Robert Zemeckis, Joe Dante, Chris Colombus…), dont l’ébullition créative associée à sa propre sensibilité contribuèrent à faire d’Amblin’ une véritable usine à rêves pour les enfants et adolescents des années 80.
Amblin’ constitue finalement un prolongement souterrain de la filmographie de Spielberg dont E.T. et Rencontre du troisième type semblent être les principales matrices. Les motifs récurrents y sont le cadre banlieusard pavillonnaire américain où surgira le surnaturel tel le premier Gremlins, l’ode à l’enfance et l’exaltation de l’aventure dans Les Goonies. Les goûts du réalisateur y étaient des plus visibles tel l’hommage au cartoon de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? et les films préparaient même de futures tentatives tel Le Secret de la pyramide (presque l’ancêtre de la vague de begins récent) sur l’adolescence de Sherlock Holmes avant celle d‘Indiana Jones et la dernière croisade. Loin du producteur omnipotent, il laissait pourtant émerger la personnalité de ses exécutants. Le goût des structures alambiquées et de l’expérimentation visuelle d’un Zemeckis brille de mille feux dans les Retour vers le futur (notamment le fabuleux second volet, vrai tour de force narratif) et l’humour corrosif de Joe Dante s’avère dévastateur dans les deux volets de Gremlins et certains moments de L’Aventure Intérieure.
La magie de cet équilibre miraculeux ne devait pourtant pas dépasser les années 80. Avec le temps, le goût de Spielberg pour ces fantaisies s’estompa mais il s’acharna sur ce fond de commerce pour délivrer les machineries bien exécutées mais sans âme que sont Hook et les deux Jurassic Park. Ce n’est que quand il sut résoudre cette schizophrénie entre maturité nouvelle (La Liste de Schindler, Il faut sauver le soldat Ryan) et divertissement qu’il put à nouveau enchanter avec des années 2000 exceptionnelles (en dépit d’une rechute sur le calamiteux Indy 4). A.I., Minority Report, La Guerre des mondes, des films qui emportent comme par le passé mais teintés d’une anxiété nouvelle, plus adulte.
Amblin’ ne devait pas se remettre de ces divers tâtonnements et même si elle existe encore aujourd’hui, rien de ce qu’a produit la société depuis (Men in Black, Small Soldiers ou plus récemment les Transformers) n’égale les joyaux d’antan. Reste donc des œuvres fulgurantes et audacieuses qui auront titillé l’imaginaire de jeunes spectateurs et dont l’influence émerge aujourd’hui avec le Super 8 de J.J. Abrams mais aussi l’excellent et méconnu dessin animé Monster House. Le cinéaste ayant retrouvé le goût du divertissement pur avec sa très bonne adaptation de Tintin, on peut même à nouveau espérer qu’Amblin’ transporte à nouveau.
Bonne lecture avant un prochain Coin du Cinéphile consacré à John Carpenter.