Le film bâti là-dessus est un mélange de thriller horrifique et de conte gothique, empruntant adroitement à un cinéma d’horreur réaliste la description d’un territoire âpre, marqué par la misère sociale – la ville semblant se transformer petit à petit en bidonville depuis la fermeture de la mine qui la structurait économiquement – et la mariant avec une aspiration au merveilleux, en inventant une figure de croque-mitaine (le « Tall Man » du titre original) matérialisant sous la forme d’une silhouette inquiétante à la fois terreurs enfantines et figures ancestrales malveillantes. Le monde, devenu incertain, est réinvesti de croyances folles qui, à force de s’installer, font douter de la perception de la réalité.
Tout, dans The Secret, est affaire de certitudes qui s’effondrent, de doubles-fonds derrière les doubles-fonds, de vertige. Martyrs montrait déjà à quel point Laugier pouvait être doué pour donner en quelques plans l’impression que le monde vacille et se dérobe sous les pieds de son personnage (on pense à la scène de la découverte de la trappe). Ici, la conduite du récit, son équilibre, sa virtuosité, construit un monde où chaque chose, chaque lieu, chaque personne possède son envers et peut être retourné comme un gant. Sa topographie reste d’ailleurs mystérieuse, et les connections entre les espaces, lorsqu’elles apparaissent, révèlent des lignes tortueuses (tunnels souterrains reliés à la mine, chemin tracé en cheminant dans la forêt à travers la boue et les branches). Passant d’un registre à l’autre, le film exploite à merveille les différents décors de sa petite ville, marquant chaque lieu – forêt, entrée de la mine, route déserte de nuit, maison de Julia, bar au milieu d’une ville sale et boueuse… – d’une empreinte visuelle particulièrement forte, variant les atmosphères avec une habileté rare. La surprise en est d’autant plus forte lorsque se trouve révélée, ici la présence d’une arrière-salle, là celle d’un sous-sol, l’un comme l’autre aux fonctions inattendues.
Tout cela est au service de la construction d’une figure qui, jusqu’au bout, reste profondément ambiguë, à savoir celle du personnage interprété par Jessica Biel (qui par ce qu’elle montre dans ce film donne le sentiment qu’elle n’avait pas très bien su jusqu’à présent, à une exception près, le Massacre à la tronçonneuse de Marcus Nispel, choisir ses projets). L’aspiration au savoir traversant le récit entraîne des basculements embarquant le film dans une dimension chaque fois différente, remodelant ainsi ses enjeux, bousculant également les masques en une valse ténébreuse. Le personnage d’infirmière, veuve de l’éminent et regretté médecin du village, qu’elle interprète se révèle une véritable machine à produire du doute et à déstabiliser le spectateur. Lorsqu’elle n’est pas en mouvement, la caméra vient souvent s’installer proche de son visage, attentive au moindre plissement de peau. Elle la rend pourtant toujours plus insaisissable et mystérieuse.