Il se trouve qu’Amadeo est là pour rester et, alors que le whisky coule à flots, ses amis vont tenter de l’en dissuader – du moins de comprendre pourquoi, après une aussi longue absence (il n’était même pas rentré pour les funérailles de sa femme), il croit aujourd’hui pouvoir refaire sa vie dans un pays qui n’est plus le sien. L’enjeu du film est là, dans ces échanges entre cinq amis éprouvés par l’âge et la perte des idéaux – et le titre, volontairement trompeur, indique que le trajet d’Amadeo est sensiblement le même que celui d’Ulysse, qui, dans L’Odyssée, ne retrouvait son île qu’après avoir erré de longues années en mer. C’est l’humble projet de Retour à Ithaque que d’avancer que l’histoire de Cuba est en proie aux légendes, aux mythologies : pour tenter de les défaire, Laurent Cantet donne la parole aux Cubains, dans un souci sociologique (interroger ce que sont devenues les idées révolutionnaires confrontées aux privations) autant que pédagogique (définir précisément à quoi ressemble la vie sur l’île, loin des clichés touristiques).

En résulte un film un brin didactique ; les dialogues, aussi bien écrits soient-ils, semblent parfois un peu trop récités, tout occupés à allier sens de l’authenticité et visée instructive. Le dispositif, quant à lui, fonctionne plutôt bien (recréer l’insularité par un huis-clos à ciel ouvert) mais n’évite pas toujours une certaine forme de théâtre filmé, succession systématique de champs-contrechamps où la caméra agit comme interlocuteur supplémentaire. C’est finalement dans l’anecdote et les trajectoires individuelles que Retour à Ithaque trouve son souffle, quand il s’intéresse au destin de chacun et comment les uns et les autres tentent de continuer à vivre dans la même “crédulité heureuse” – un personnage du film l’énonce d’ailleurs clairement, “j’essaye de croire que j’y crois encore”. En se remémorant le souvenir d’un concert de Joan Manuel Serrat au Stade Lénine ou en dansant sur le California Dreamin’ de The Mamas and the Papas, la bande d’amis évoque bien mieux ce qui fait qu’ils tiennent toujours debout, là sur leur terrasse qui donne sur le Malicon, que leurs conversations éducatives. Ne pouvoir être ni ici ni ailleurs : c’est pourquoi, malgré les non-dits et les rancoeurs, ils sont encore amis, réunis en dépit de leurs différends et de leur singularité.