Déjà noté lors de la présentation du film à Un certain regard à Cannes en mai dernier, Restless atteste autant les qualités (la mise en scène émotionnelle d’un corps) qu’une sorte de coup d’arrêt dans l’ambition du réalisateur ou d’une inspiration en berne. On en reviendrait presque une douzaine d’année en arrière quand, après avoir impressionné dans la première moitié des années 1990 (My Own Private Idaho, Prête à tout…), le réalisateur semblait lorgner, avec succès, le grand public avec des films d’excellente facture – n’est pas Gus Van Sant qui veut – mais à la portée bien plus modeste (Will Hunting, A la rencontre de Forrester). De Psycho, objet théorique aussi problématique pour certains qu’enthousiasmant pour d’autres, à Paranoid Park, le petit réalisateur indépendant de Portland a confirmé les espoirs placés en lui et s’est offert une place d’auteur de premier ordre. Le relatif manque d’intérêt d’Harvey Milk (2008) pouvait s’expliquer par l’effacement de l’auteur derrière son sujet : Van Sant abordant de front, pour la première fois, un sujet politique le touchant sans doute de manière tout à fait personnelle. L’écueil majeur s’avérait alors être (à l’exception de quelques rares séquences) l’absence de personnalité du film. Restless reproduit ce même schéma dans une moindre mesure, ne faisant apparaître que la (très belle) ombre du réalisateur.

Restless alterne entre la grâce et le tout venant de la comédie romantique et dramatique. On reconnaît et retrouve le travail d’inscription d’un corps dans un environnement, tout autant spatial qu’émotionnel, du réalisateur, une capacité étonnante pour déjouer les attentes du spectateur, une mise en scène à la fois simple et sobre, mais dont les effets sont parfois à couper le souffle (les premières et ultimes apparitions d’Hiroshi). Mais tout ceci s’entache d’un aspect trop propre et impersonnel. Certaines séquences fleurent bon le gimmick de la comédie romantique (tous nos jolis moments compilés sur fond musical) et la musique sent parfois trop la charge pop indé-chic. Restless porte la marque de son auteur (sans doute plus qu’Harvey Milk), mais celle-ci est atténuée, presque gommée parfois pour toucher plus large. Ce qu’il gagne en audience potentielle, le réalisateur le perd malheureusement en authenticité.

Van Sant a fait beaucoup d’émules. Depuis Harvey Milk, ses films pourraient être de leur fait. Au jeu du petit film indépendant, il est rattrapé par certains de ses suiveurs (John Crowley, Boy A par exemple). Le réalisateur finit par leur ressembler plus qu’à lui-même dans une sorte de pompiérisme léger – le terme est évidemment bien fort en regard des qualités du film – mais bien réel. On lui est bien sûr gré de ne pas s’enfermer dans le style qui assit sa renommée à partir d’Elephant, mais on se retrouve ici face à un réalisateur de grand talent passé en mode largement mineur. La question est : peut-on se contenter d’un simple joli film de la part de Gus Van Sant ? On le peut, mais cela laisse le goût de la déception dans la bouche.
(1) « Now that the dreams have given all they had to lend
I want to know do I stay or do I go
And maybe try another time
And do I really have a hand in my forgetting ? »
(2) Détail, peut-être sans importance, mais le choix de Nico pour la bande-son résonne avec un autre élément troublant du film : la ressemblance entre le jeune acteur Henry Hopper et l’artiste Andy Warhol qui fut un temps le manager du groupe Velvet Underground & Nico et plaça la chanteuse dans certains de ses films.