Comment inventer une naissance à la créature qui a déjà vu quatre films réalisés à son attention, elle qui fut dédoublée, mutée, sacrée mère, enfant, tant de fois tuée mais toujours présente dans la course aux plus grandes sagas du cinéma hollywoodien? Et comment renouveler l’intérêt de fans qui viendront certainement, sceptiques à l’idée de souffrir un énième dérivé, ou satisfaits de ravoir aux commandes le réalisateur originel, celui qui a donné le premier et le meilleur film sur cet encombrant passager?
Ridley Scott refuse très consciemment durant deux heures de montrer la créature, déjouant nos attentes jusqu’au plan final de Prometheus, faisant paradoxalement de la naissance dramaturgique de l’Alien le point final à l’aventure qu’il a impulsée.

Le cinéaste calque ses propres traces cinématographiques, construit ses personnages comme on suit une vieille recette : une femme de tête, morale et décidée, un androïde, une figure de riche corrompu qui n’a que faire de la survie de son équipage, et les autres, servant quelques punchlines avant de mourir prématurément. Évidemment, il tente quelques variations, complexifiant ici (la raison première de l’expédition spatiale n’est plus commerciale, mais d’une portée hautement scientifico-théologico-morale !) lissant ailleurs (aucun personnage à la hauteur de Ripley).
Comme dans l’original, la direction artistique est époustouflante, les premières scènes dans le vaisseau, avant que l’équipage ne s’éveille, sont splendides, et le personnage de l’androïde (le papa de Hal en quelque sorte) expose sa condition de machine par un mimétisme cinéphile plutôt marrant. Un clin d’œil, involontaire, à la propre incapacité du cinéaste à éviter la copie.
Refusant le suspense basé sur l’espace claustrophobique du vaisseau, où le degré d’angoisse atteignait des hauteurs désormais cultes, le film se dilue dans une quête moraliste des origines. Les personnages ne sont jamais assez forts pour que la perspective d’un simple et cruel survival ne s’engage, et mêmes les scènes d’actions ne sont pas à la hauteur, de la découverte d’une première créature menaçante jusqu’à l’échappée finale, se jouant pauvrement sur le suspense d’un vaisseau devenu poids morts qui risque d’écraser quelques survivants.
En voulant enrichir le mythe, le réalisateur s’encombre d’une troisième entité, supérieure à l’homme, bien plus ancienne, bien plus avancée, qui serait à l’origine de la création de l’Alien. Les révélations sur ces « bâtisseurs » se succèdent, gloubi boulga théorique, questionnant mollement au passage les responsabilités éthiques de la science, Dieu, les riches et la quête de l’immortalité. Cette nouveauté, un personnage de vieillard ridicule – ressemblant étrangement au Benjamin Button de Fincher – souhaitant acheter sa vie éternelle, est la ficelle scénaristique de trop, celle qui consacre le ratage.

Le film est un fourre-tout thématique, appel du pied de Scott à son propre héritage, mais aussi à celui des autres réalisateurs de la franchise. Impressions constantes de déjà-vu, tantôt amusantes (maligne variation sur la fécondation, ici empêchée par un véritable avortement !) mais la plupart du temps redites perturbantes, comme des « échos » visuels d’une science-fiction que le cinéaste a codifié sans plus pouvoir rien y changer. La bête, une fois créée, ne supporte aucune trahison.