Ce bref panorama permettait d’abord de tâter le pouls des « nouvelles vagues » argentine et roumaine, légèrement en perte de vitesse après une décennie flamboyante. El estudiante (Prix spécial du jury Cinéastes du Présent) marque le passage à la réalisation de Santiago Mitre, coscénariste de Pablo Trapero sur Leonera et Carancho. Fort logiquement, il s’inscrit dans le même sillon, proposant une étude de caractère doublée d’une peinture sociale. Roque, jeune homme sans vocation précise, débarque à l’Université de Buenos Aires, avec son dédale de couloirs et d’intrigues crapuleuses. De fête en rencontre, il se désintéresse des cours pour intégrer les réseaux militants. Son parcours n’est guidé par aucune idéologie, mais plutôt par une envie de reconnaissance, une soif de conquête amoureuse, et l’attrait du pouvoir. Le cinéaste suit cette ascension fulgurante avec une caméra tremblée, collant aux basques de son héros. Plutôt efficace, ce système trouve cependant vite ses limites : El Estudiante agace en simulant un aspect documentaire (séquences prises sur le vif, cadre flottant, brouhaha permanent) alors que son récit se calque sur un modèle américain et s’inspire clairement des séries. Ce faux réalisme vise à donner au film un surcroît de sérieux, un gage d’authenticité. Et dispense Santiago Mitre d’adopter un point de vue : il accompagne ses personnages en bon observateur, mobile et discret. Or il ne suffit pas de capter de longs débats pour réussir un film politique. Abusant des revirements scénaristiques et des répliques balancées à la mitraillette, le réalisateur feint la complexité sans creuser son sujet. Il trahit également une certaine fascination pour ce milieu très masculin : ici les femmes sont de jolis bibelots que Roque collectionne. Froides en apparence, mais douces à l’intérieur, elles échappent au cynisme ambiant. Le duel final oppose d’ailleurs le jeune loup et le doyen, dans un affrontement générationnel aux enjeux peu subtils. Autant de défauts déjà présents dans Carancho.

Face à ces deux nations en plein renouveau artistique, le Japon semble entrer dans une période creuse. Un avis partagé par Katsuya Tomita, qui se heurte à un système en crise et doit autoproduire ses films. Chauffeur routier la semaine, cinéaste le week-end, il a financé son troisième opus, Saudade, en sollicitant des fonds sur Internet. Le résultat, brouillon mais saisissant, déroule sur près de trois heures le quotidien d’une ville moyenne, Kofu, dans un climat de sinistrose économique. Sur un chantier se retrouvent des ouvriers d’origines diverses, mais tous aussi paumés et démoralisés. Le film brasse les milieux et les thèmes, décrit la scène hip-hop et les rapports tendus entre communautés. Japonais, Brésiliens et Thaïlandais paraissent déracinés, atteints d’un mal profond – cette nostalgie d’un ailleurs impossible évoquée par le titre portugais. Touffu, assez ennuyeux par moments, Saudade ne marque peut-être pas l’avènement d’une relève, mais éclaire le travail opiniâtre d’un franc-tireur. Katsuya Tomita dévoile une facette inédite de son pays et n’hésite pas à ouvrir grand ses plaies.

Le pic de cette sélection reste Tahrir de Stefano Savona, déjà co-auteur de l’excellent Palazzo delle Aquile (Grand Prix du Cinéma du Réel 2011). Pendant la révolution égyptienne, le documentariste s’est rendu tous les jours sur la place centrale du Caire, zone névralgique de la contestation. Sans commentaire – mais pas sans position – il livre une chronique forte de cette période historique, respectant la chronologie des faits, alternant moments de rage et d’enthousiasme. Loin du simple reportage, Stefano Savona prouve une nouvelle fois sa capacité à filmer un combat politique, à prélever dans l’espace des scènes de groupe dynamiques et vivantes. Sa caméra relie sans cesse l’individuel au collectif, circule parmi les manifestants, isole des portraits dans la foule, saisit des conversations animées. Elle décrit cette lutte dans ses aspects les plus concrets (arracher des pavés, porter les blessés, se fabriquer des casques de fortune avec des bouts de cartons) tout en pointant ses enjeux et ses dissensions (les nombreuses discussions sur le rôle des Frères Musulmans ou l’après-Moubarak). Le cinéaste remet surtout au centre la parole du peuple : et ce torrent de colère, qui ne s’épuise jamais, perce l’écran bien au-delà du générique.