
L’irruption à mi-chemin de Lisa, un personnage qui ne correspond pas aux critères établis dans le récit, lève soudain le voile sur les tenants et aboutissants de la démarche du cinéaste. C’est, d’abord, une voix féminine, puis un corps au visage singulier, qui, en prenant possession du cadre, suscitent l’émerveillement du héros autant que le soulagement du spectateur (étrange et belle ironie que, dans ce monde normatif, ce soit une figure de la normalité, où une voix est enfin en phase avec un corps, qui apparaisse comme l’exception, l’idéal). Dès lors, ce travail par contraste révèle la vraie nature d’un univers qui repose avant tout sur des gimmicks, des rouages certes efficaces, mais relativement artificiels. Le vide et la froideur d’un monde aliénant, où les professionnels du costumer service sont adulés comme des génies artistiques, se traduisent par le biais de l’imaginaire graphique attendu – celui de la mécanique, de l’uniformité et du faux-semblant. Ainsi, chaque figure de l’autre, à une anomalie près (cette Lisa dont Michael tombe instantanément amoureux), est réduite à une déclinaison d’un même visage et d’une même voix, tandis que le héros partage avec tous ceux qu’il croise cet étrange contour délimitant son visage, tel un masque. Il n’est alors pas interdit de trouver cette accumulation d’effets très allègrement appuyée, dans la mesure où elle ne fait que redoubler ce que la stop-motion disait déjà.
Trop conscient de la dichotomie simpliste sur laquelle il repose, le récit bifurque alors dans une sorte de romance en huis-clos, pour ne plus s’intéresser alors qu’à l’humain, aux sentiments. Le cinéaste joue sur une dilatation du temps pour montrer l’inéluctable rapprochement de deux caractères (à partir du canevas assez usité de la jeune femme au physique banal, timide, maladroite, et en manque d’affection), puis de deux corps (étonnante étreinte sexuelle, entre tendresse et crudité, étirée de manière inhabituelle). Et le film de revenir enfin à sa mécanique bien huilée : si ce moment d’amour n’était qu’une parenthèse, et que le lendemain matin la désillusion est au rendez-vous pour Michael, c’est une nouvelle fois à la faveur d’un gimmick, cette fois-ci narratif (Lisa reprenant à l’identique une expression d’un de ces pantins mécanisés croisés au détour du récit). Ainsi, ce retour du héros à un état de torpeur et d’accablement face au monde, sa perte irrévocable de tout émerveillement, n’est traité que comme pur mécanisme narratif – l’intention du cinéaste est limpide, mais le résultat trop superficiel pour émouvoir. Si Anomalisa convoque tout un réseau de références (de Lost in Translation (Sofia Coppola, 2003) en passant par Shining (Stanley Kubrick, 1980)) pour mieux se rêver en poème sur la solitude contemporaine, rien ne dépasse le stade du petit théâtre virtuose et refermé sur lui-même, l’exercice bricolé (très) habile et (un peu) superficiel.