Sils Maria

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Juliette Binoche/Kristen Stewart : duo de choc aux sommets.

Rentré bredouille d’un étonnamment discret passage à Cannes, le nouveau film d’Olivier Assayas aligne un casting inattendu qui devrait susciter une attention inaccoutumée pour le réalisateur. Juliette Binoche, Kristen Twilight Stewart et Chloë Grace Kick-Ass Moretz dans les montagnes suisses. Si le casting semble un peu trop accrocheur au premier coup d’œil, qu’on se rassure, le programme est aussi inattendu et réjouissant que le ballet des actrices.

Maria Enders (Binoche), comédienne et star internationale, est dans le train pour la Suisse avec son assistante-organizer vivant Valentine (Stewart) pour aller recevoir un prix au nom de Wilhelm Melchior, dramaturge qui l’a faite débuter. Le hasard faisant bien les choses, le grand homme décède, rendant l’hommage prévu encore plus vibrant. Ce bref prélude place le film sous le signe de la communication. D’une assistante ultra-connectée aux huit bras et sept oreilles jonglant entre smartphones et pc portable, checkant les infos en direct, rectifiant les tirs et les rumeurs à une comédienne vérifiant online la validité des infos qui circulent sur elle. L’information circule vite. A peine mort, il faut improviser un hommage téléphoné, dans tous les sens du terme, au dramaturge. Il est donc question d’image dans Sils Maria : d’image de soi, donnée, véhiculée, reçue. Ces images-là, il faut les contrôler par tous les moyens : se mettre en scène. Ainsi, la rencontre avec le metteur en scène Klaus Diesterweg voit une Maria lasse et plutôt mécontente d’avoir à s’entretenir avec l’insistant bonhomme se métamorphoser : Maria reste en coulisse et cède la place à Maria Enders, l’actrice qui joue son rôle, poseuse et séductrice. Le naturel vs la représentation. Une même transformation s’opère plus tard lorsqu’elle doit rencontrer, là-aussi contrainte, sa future jeune partenaire (Moretz).

 

Olivier Assayas prend son temps pour installer ces bases-là, fondation même de son film. Klaus Diesterweg propose à Maria de reprendre la pièce de Wilhelm Melchior qui l’a rendue célèbre. Au lieu du rôle de Sigrid qu’elle jouait à 18 ans, elle serait désormais Helena, la femme mûre qui se laisse séduire et détruire par la plus jeune. On lui promet l’auréole de gloire, mais on peut aussi sentir derrière la violence et l’inélégance de la proposition. D’abord rétive, Maria se laisse peu à peu enjôler par les flatteries et la belle image que lui renvoie d’elle le metteur en scène. La comédienne est alors prise au piège de sa propre image. Le rôle, pourtant, la débecte. A la force de Sigrid – la sienne –, elle oppose la faiblesse d’Helena qu’elle ne peut admettre et porter. Pour celle qui contrôle en permanence son image médiatique – toujours belle, toujours séduisante, toujours hiératique – cette faiblesse, travestissement de l’âge et du vieillissement, est inacceptable. Jouer la vieille sur scène ? Afficher que les vingt années qui la séparent de Sigrid ont passé ? Inacceptable.

Maria/Juliette vs Valentine/Kristen

Le film pourrait se contenter de cette simple ligne sur le passage du temps et la difficulté de l’accepter, de faire corps avec son propre présent. Pourtant Assayas n’en reste pas là et complexifie le propos et, à la manière d’un mille-feuille, ajoute des couches. Personnages et situations se dédoublent. Fiction et réalité se chevauchent dans le film et hors le film. Wilhelm Melchior, le dramaturge et cinéaste choisi par le réalisateur, de même que la pièce Le Serpent de Maloja évoquée dans le film sont réels et invitent alors à porter le regard autant sur les personnages que sur les acteurs, sur Maria et Valentine autant que sur Binoche et Stewart. On retrouve un écart d’âge et des relations (patronne/assistante) similaires à ceux d’Helena et Sigrid. Relation qui s’étoffe de la présence de la jeune actrice qui reprend le rôle de Sigrid. Tout est fait pour rejeter Maria/Juliette hors de sa jeunesse à laquelle elle s’accroche. Mais au-delà de l’âge, c’est aussi tout un rapport au cinéma, et plus loin au monde, que décrit Assayas, s’appuyant sur les carrières et réputations de ses actrices. L’Européenne intello et l’Américaine ultra popu, star du cinéma contre star des médias. Stewart, qu’Assayas avait débord envisagé pour le rôle de la jeune actrice, se fait alors l’avocat du diable. Face à Maria/Juliette, sa solide carrière et sa vision élevée du 7e art – quand bien même elle ne crache pas sur un bon blockbuster pour redorer ses finances et populariser son image – Valentine/Kristen revendique le cinéma à grand spectacle, le cinéma qui a fait d’elle une star. Prenant la défense de la jeune starlette trash peut-être plus fine qu’il n’y paraît (ou pas) dont la vie s’étale dans les médias, elle fait son propre plaidoyer. Dans cette lutte entre deux cinémas, il n’y a ni vainqueur, ni vaincu. Valentine (Kristen aussi ?) représente une position d’ouverture, un trait d’union salutaire à même de naviguer entre l’ultra médiatique et le plus souterrain.

 

Sils Maria, du nom de la localité des Alpes suisse où se déroule la majeure partie du film, navigue ainsi entre les strates de discours avec une clarté impressionnante et souvent beaucoup d’humour. Assayas parvient à une lisibilité parfaite alors qu’il multiplie les pistes. Riche mais jamais bourratif, le film rejoint l’une des clés de voûte de la filmographie du réalisateur : la question de la mémoire, ou plutôt de l’héritage et la négociation avec son propre passé qu’il a exploré au propre comme au figuré. Accepter le passé comme passé pour pouvoir évoluer au présent (Irma Vep, 1994, Les Destinées sentimentales, 2000, L’Heure d’été, 2008). Film sur le cinéma, les actrices, ses actrices, mais aussi en filigrane sa propre histoire avec Binoche (qu’il rencontre pour Rendez-vous de Téchiné, 1985, dont il écrit le scénario, puis retrouve pour L’Heure d’été), le mille-feuille de Sils Maria fascine comme les nuages de Maloja qu’Assayas prend plaisir à filmer, mêlant l’onde sinueuse des destins à un phénomène climatique mystérieux et obsédant.
 

Titre original : Clouds Of Sils Maria

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Durée : 123 mn


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