Performance (1970)

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Bancal, psychédélique et provocateur, un galop d´essai perfectible mais fascinant.

Un regard

Si Performance est le premier film « officiel » de Nicolas Roeg, on aura eu le loisir d’assister à la naissance du cinéaste de manière indirecte dans des œuvres signées par d’autres. Roeg débute en effet sa carrière en tant que directeur photo et rétrospectivement sa patte semble manifeste dans diverses productions où il aura officié avant de se lancer. Il vampirise ainsi certains films où des motifs visuels et narratifs récurrents de sa future filmographie s’affirment dans le regard d’autres réalisateurs qui ne rééditeront jamais les expérimentations d’alors. C’est dire la force du regard de Roeg, puisque ce sont des artistes majeurs qui se verront ainsi parasités. Le drame historique rural Loin de la foule déchaînée (John Schlesinger, 1967) était ainsi traversé de fulgurances typiques de Roeg, notamment une scène de séduction psychédélique où Terence Stamp séduisait Julie Christie par une démonstration d’escrime, dont le montage saccadé adoptait le point de vue troublé et amoureux de cette dernière. On peut également citer le Fahrenheit 451 (1966) de Truffaut dont on sait qu’il rencontra les plus grandes difficultés durant le tournage en Angleterre hors de son élément et dans une langue qu’il ne maîtrisait pas. Dès lors, on peut s’interroger sur la réelle parenté du film quand surgissent les images accélérées durant les missions des pompiers, les scènes d’amour entre Montag et son épouse qu’on retrouvera telles quelles dans un des plus étranges instants de Ne vous retournez pas (1973).

La démonstration s’avère encore plus frappante lorsque Roeg se confronte à un cinéaste moins talentueux comme Richard Lester sur le mélodrame Petulia (1968) dont on a tout simplement l’impression qu’il s’agit d’un film de Roeg avant l’heure. On y trouve un montage expérimental par association d’idées, incrustant de courts inserts surprenants, un jeu sur la répétition et la temporalité. Lester, cinéaste associé au Swinging London (ses différents films sur les Beatles) et à un visuel pop, use ordinairement et grossièrement de ce type d’effets et ses films si modernes à l’époque ont horriblement vieilli aujourd’hui. Pourtant dans Petulia, la subtilité et l’inventivité maîtrisée que ne retrouvera plus Lester laissent encore deviner que Roeg eut une emprise bien plus grande qu’un simple directeur photo sur le film. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Petulia sera son dernier film à cette fonction avant de passer pour de bon derrière la caméra.

 

Une vision

Pour sa première réalisation, c’est à nouveau le projet d’un autre que Roeg va insidieusement investir. En effet, le film signe à l’époque les grands débuts de Donald Trammel, peintre vedette et coqueluche du Swinging London. Tout le projet semble entouré d’une certaine « hype » car outre Trammel à la réalisation, le casting intégrera bientôt des icônes du moment avec Anita Pallenberg (actrice, mannequin et surtout petite amie de Keith Richards) et Mick Jagger dans son premier rôle au cinéma, la rumeur leur attribuant d’ailleurs une liaison durant le tournage. Donald Trammel, bien conscient de ses limites techniques, fait donc appel à Nicolas Roeg pour l’assister. Il fera bien plus que cela en concevant notamment tout l’univers visuel du film et enrichissant l’atmosphère très sex, drugs and rock’n’roll au cœur du script de Trammel. L’histoire offre d’ailleurs un étonnant mimétisme au processus de création de Performance puisqu’il narre l’emprise d‘une personnalité sur une autre.

Le film débute comme un récit de gangster classique agrémenté de quelques excentricités visuelles qui annoncent la suite (le montage alterné étrange lors de la plaidoirie au tribunal) mais néanmoins dans la veine attendue du cinéma pop psyché de l’époque, dont on sent d’ailleurs les concessions d’un Roeg pas maître à bord. Alors que tous ses autres films sauront dynamiter le cinéma classique en y incluant des éléments expérimentaux, ici ce sont ces derniers qui dominent. Performance souffre donc d’une narration parfois en roue libre et d’un rythme souvent laborieux, notamment lorsqu’il donne dans la provocation gratuite. L’intérêt repose donc sur une ambiance unique en son genre et des thèmes qui annoncent en tout point la filmographie à venir de Roeg.

Chas (James Fox), homme de main de la pègre londonienne, se met ses patrons à dos et se retrouve traqué. Il se refugie dans une étrange demeure hippie dont les habitants, entre orgies diverses et délires opiacés, vivent une existence tout en excès. Parmi eux, Turner (Mick Jagger), rock star déchue et paranoïaque, et sa compagne Pherber (Anita Pallenberg) forment un couple décadent et manipulateur. Progressivement, un fascinant mimétisme et rapprochement s’opèrent entre les truands et ses hôtes étranges. Le scénario de Trammel reste dans le flou quant au lien se nouant entre Chas et Turner auquel se mêle un ménage à trois avec Anita Pallenberg. La première idée serait celle d’une attirance homosexuelle (une empoignade violente et tendancieuse en début de film y laisse songer) dans l’opposition parfaite des deux personnages. L’androgyne Turner est troublé par la virilité imposante de Chas tandis que ce dernier trouve une forme de désinhibition dans ces lieux aux antipodes des rapports de force du milieu criminel. Roeg use de son arme favorite du montage pour créer la confusion, que ce soit pour appuyer les penchants indéterminés de Turner (les scènes d’amour avec Pallenberg qui le confondent souvent avec une autre locataire lesbienne au look garçonne jouée par Michèle Breton) ou la différence de plus en plus indistincte avec Chas.

 

 

On pourra trouver les effets quelque peu appuyés pour signifier cette schizophrénie (les fondus enchaînés du visage de Turner sur celui de Chas et inversement), mais l’atmosphère est réellement oppressante et hypnotique, faisant de la demeure un personnage à part entière. Sous l’apparat psychédélique finalement peu original, on distingue la patte de Roeg dans le fond même d’une histoire qu’il n’a pas écrite mais dont il a su mettre en valeur les éléments qui l’intéressent. Le rapport entre Chas et Turner annonce ainsi celui entre le jeune aborigène et les enfants de Walkabout (1970) : la fascination de l’étranger, le mimétisme se créant par le cadre commun superficiel et urbain (l’appartement de Performance) ou naturel (le bush australien de Walkabout). Mais surtout, dans les deux œuvres, ce possible rapprochement entre deux univers opposés va voler en éclats, car reposant sur une illusion. Dans Walkabout l’isolement loin de la civilisation renforçait le lien entre les jeunes citadins et l’aborigène, mais dès les premiers signes de celle-ci, le lien se rompait dans l’incompréhension. Avec Performance, c’est une hallucination de Chas après la prise de drogues qui unit définitivement tout le monde mais l’arrivée de ses anciens acolytes brisera tout cela. La séparation se fera dans le sang et la mort mais quelque chose a demeuré de l’expérience. Là se situera la différence entre les deux films puisque la douce nostalgie dominera dans le film de 1970 alors que Performance s’offre une chute bien plus trouble. Emmené en voiture par les malfrats pour un sort peu enviable, Chas jette un regard à la fenêtre de la voiture où l’on a la surprise de découvrir le visage de Turner mort quelques minutes plus tôt. Le jeu de miroir permanent trouve ainsi un aboutissement de génie avec cette dernière image.

La Warner, productrice du film, se montrera horrifiée du résultat en découvrant les images, elle qui pensait produire un équivalent aux films rock des Beatles façon A Hard Day’s Night (Richard Lester, 1964) ou Help! (Richard Lester, 1965). De cette idée de départ ne demeure que la cultissime séquence « Memo from Turner » où Jagger prend la pose et chante, Roeg et Trammel y inventant tout simplement tous les futurs codes du vidéoclip. Tourné en 1968, Performance restera dans les tiroirs de la Warner jusqu’en 1970, sortant parallèlement au vrai premier film de Roeg, Walkabout. Les parallèles évidents prouveront que l’on avait bien là affaire à un auteur. Malgré ses scories, Performance est donc le manifeste brillant et bancal d’un génie en devenir.

Titre original : Performance

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Durée : 105 mn


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