Moonrise Kingdom

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Au programme du nouveau Wes Anderson, comme toujours : << l´amour, le temps des copains et de l´aventure >>.

Il ne viendrait que rarement à l’idée de reprocher à quelqu’un son imagination, son goût du décalage, l’attention portée tant au troisième qu’au premier plan, la construction de scènes aussi foisonnantes et complexes qu’un décor théâtral. Le système Anderson, aussi merveilleux conteur que l’était son quasi homonyme danois, est construit par duplication, dérivé, dont il livre en exclusivité le dernier modèle en ouverture de la compétition cannoise.

A la vision des quinze premières minutes de Moonrise Kingdom, on a eu peur : de l’ennui, de l’absence de sentiments, du manque de chair derrière la rigidité des cadres, du film gadget, dont le réalisateur pousse le vice du décorum branché jusqu’à situer l’action dans les sixties.

Encore une fois, le film est le produit et la continuité des six précédents longs métrages (dont un d’animation), et on peut aisément avancer que Wes Anderson fait depuis ses débuts le même film, variant seulement la localisation, l’époque ou la technique. Le Jason Schwartzman de Rushmore pourrait être le grand frère du petit scout Sam, ils partagent, comme tous les enfants chez Anderson le génie intellectuel disputé avec une arrogance difficilement acceptable en communauté. La petite héroïne Suzy (Kara Hayward, la découverte du film !) ressemble à la jeune et mutique Margot de La Famille Tenenbaum, et risque bien de grandir sur les traces du personnage de Gwyneth Paltrow, déconcertante de talent, mais effrayante par tant de violence rentrée, parfois libérée vers les autres (Suzy), ou vers elle-même (Margot). Bill Murray reprend aussi son indécrottable personnage de looser, père de famille dépassé et trompé, comme dans Rushmore, La Famille Tenenbaum et La Vie aquatique. Mais le cinéaste reste un des plus délicats directeurs d’acteurs de sa génération, et ce même si sa famille d’interprètes le suit de films en films, quitte à muter en chemin.

Ici, il choisit comme sang "neuf" le Bruce Willis, le vrai, l’acteur, le déguise et lui donne quatre répliques, mais quel cadeau ! Il est le capitaine Sharp, membre de la police chargé de faire régner le calme sur une île peuplée d’une maison tous les dix kilomètres. Ce clin d’œil aux rôles habituels de flic de "Papy Bruce" est sublimé par l’absolue solitude mélancolique du personnage, qui finira par se prendre d’affection pour sa réplique enfantine. Le Bruce Willis des films de M. Night Shyamalan, ou même les policiers au bout du rouleau d’Otage et de Clones laissaient entendre que Mister Action était capable de nuances, de ce subtil dosage entre "bêtise et tristesse" que saurait lui écrire Wes Anderson. Résultat, il vole complètement la vedette au Bill Murray habituel et un peu délavé, confirmant notre sentiment secret d’avoir toujours trouvé la réhabilitation hype de Monsieur Bill très exagérée.

 

Pour ne rien dévoiler des nombreuses péripéties, alliances et défaillances, petites machinations et belles évasions du film, on ne peut que vous résumer l’aventure : sur une île de la Nouvelle-Angleterre en 1965, une immense tempête se prépare. Pendant ce temps, deux amoureux âgés à eux deux de vingt ans complotent leur évasion. Lui est un scout mal aimé de sa compagnie, elle est une lectrice assidue coincée entre deux parents désunis et a la fâcheuse tendance à planter ses ciseaux dans la cuisse du premier importun.

Comme toujours, il y sera question d’adultes empêtrés dans leurs bassesses d’adultes et d’enfants solennels et stoïques, réfléchissant à la marche du monde tout en construisant des cabanes. La place si particulière de l’enfance dans le cinéma de l’Américain cristallise l’émotion qui vient à bout d’un cinéma très composé. C’est l’écriture des personnages et les dialogues, à la fois légers et bien sentis sur les rapports humains, qui forcent la porte de son univers ultra construit, pour que le liant de l’affect, de la violence parfois, mais de l’interaction humaine en tout cas, l’emporte sur quelques préciosités. L’image sépia, les références aux années 60, les habituels travellings latéraux et la fixité de la composition des plans n’auguraient pourtant rien de bon, même si a contrario, c’est exactement pour ces raisons que d’autres chérissent le cinéma de Wes Anderson. Car ce n’était plus tant un cinéma de bric et de broc qu’une véritable machine à gadgets visuels qui avait plusieurs fois manqué de lasser (A bord du Darjeeling Limited), étouffant par son post-modernisme léché mais vain.

 

C’est son détour par l’animation, donnant naissance au Fantastic Mister Fox, qui remit tout le monde d’accord. Etre obsédé par la famille, l’enfance et la dépression ne suffisait plus, il fallait à Wes Anderson de l’action, une promesse scénaristique, un enjeu vital, une énergie pour redonner sens à ses plans-tableaux, qui redeviendraient des contrepoints poétiques appréciables. Ainsi, l’aventure de la famille de Renard, tout entière tournée vers sa survie, a insufflé rythme et cohérence à son univers, toujours aussi composé au demeurant. Idem dans Moonrise Kingdom qui, après quinze minutes de surplace introductif, s’emballe, les corps se déployant lorsque les fugitifs sont signalés. Ainsi, il sera moins question de se morfondre sur la joliesse de nos blessures que de courir pour échapper à l’autorité, et vivre un amour enfantin comme l’aventure d’une vie, avec drame et sérieux.

C’est dans cette lignée que le film est réussi, dans sa frénésie délicieuse, explorant le drame, le film catastrophe et l’aventure avec le même enthousiasme, sans que jamais la même question ne nous soit épargnée, qu’elle soit posée par Françoise Hardy ou le cinéaste lui-même : « qu’avons nous fait de notre enfance ? »
 

Titre original : Moonrise Kingdom

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Durée : 94 mn


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