L’Héritage

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Ressortie d’un des plus beaux films de Mauro Bolognini, amer et désenchanté.

Quinze ans après Le Mauvais chemin (1961), le film qui fit de lui le grand esthète du récit en costumes, Mauro Bolognini en réalisait l’œuvre jumelle avec L’Héritage. Le point de départ de l’intrigue est le même avec un conflit familial autour d’un héritage, la période historique également, 1885 pour Le Mauvais chemin et 1880 pour L’Héritage dans une Italie en pleine mutation. Le regard du réalisateur a cependant changé entre-temps et c’est par les différences de cette variation sur un même thème qu’on jugera de cette évolution thématique. Le Mauvais chemin se situait à Florence dans un milieu ouvrier modeste tandis que L’Héritage se situe dans une Rome fraîchement (et contestée) promue capitale du pays au sein de la grande bourgeoisie. Le plus grand changement est surtout la bienveillance qu’avait Bolognini envers ses personnages malgré la tonalité sombre – dans l’esprit d’un Rocco et ses frères (Luchino Visconti, 1960) – dans Le Mauvais chemin tandis qu’il n’y a presque personne à sauver dans L’Héritage.
Les deux précédentes œuvres de Bolognini, les très politisés Liberté, mon amour (1973) et Vertiges (1974) avaient amorcé cette tonalité plus amère chez celui qui avait osé un final poignant et plein d’espoir quelques années plus tôt dans Metello (1970). La situation contemporaine agitée du pays (abordée indirectement dans Vertiges et Liberté, mon amour) semble avoir déteint sur son humeur et ce n’est donc pas un hasard de le voir délivrer son œuvre la plus âpre en adaptant le roman L’Eredità Ferramonti : Vita Romana (1884) de Gaetano Carlo Chelli. Le film s’ouvre sur les échanges haineux d’une famille brisée. Gregorio Ferramonti (Anthony Quinn), vieil homme ayant fait fortune dans la boulangerie, réunit autour de lui ses enfants à l’aube de prendre sa retraite. Pour lui, aucun d’entre eux ne semble digne de lui, que ce soit le faible de caractère Pippo (Luigi Proietti), le flambeur Mario (Fabio Testi) ou la vénale Teta (Adriana Asti), et c’est tout naturellement qu’il leur annonce qu’il ne leur léguera rien de sa fortune considérable. Il leur reproche leur manque d’affection et de n’être intéressé que par son argent, bien qu’une scène au début révèlera la dureté dont l’homme est également capable lorsqu’il confisquera à un ouvrier une misérable pièce trouvée dans sa boulangerie.

Si l’on retrouve la beauté formelle typique du réalisateur avec ses cadrages en forme de tableaux vivants, ses mouvements de caméras opératiques et la photographie somptueuse d’Ennio Guarnieri, l’ensemble dégage une surprenante froideur. Alors que les élans romanesques de Metello ou Bubu de Montparnasse (1961) transcendaient par l’émotion cette recherche plastique, on est ici dans la pure étude clinique distanciée. On se trouve dans une Rome sale, sinistre et en pleine reconstruction où l’on va constater les changements des mentalités en cours. D’un côté l’existence austère et sans plaisir d’un Anthony Quinn qui ne goûte guère à la bagatelle malgré ses richesses et de l’autre ses enfants aux moyens limités qui mènent la grande vie. Gregorio est un homme au franc-parler brutal qui s’est élevé à la force du poignet, ses descendants préférant eux accumuler les courbettes dans la haute société dans l’espoir de s’y établir. Le lien entre ces deux mondes va se faire par l’intermédiaire du personnage d’Irène (Dominique Sanda). Issue d’un milieu modeste, elle allie la détermination impitoyable de Gregorio (et à sa manière la patience de « l’entrepreneur » dans ses manigances) et les goûts de luxe de ses enfants, à mi-chemin entre l’ancienne et la nouvelle génération.

 

Faussement timide et introvertie, elle va se révéler une ambitieuse sans scrupules qui va cajoler, séduire et finalement tromper tout le monde pour s’adjuger l’héritage. Belle-fille attentionnée qui trouvera la faille dans la solitude du vieil ours bourru qu’est Gregorio, épouse attentionnée pour Pippo et amante torride pour Mario (formidable première étreinte où Fabio Testi manipulé pense avoir eu l’initiative), elle est fausse en tous points. Dominique Sanda est fabuleuse (et judicieusement récompensée du Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 1976), séductrice et charnelle mais avec toujours ce discret regard en coin où l’on devine le calcul constant. Tout ce monde s’avère grandement détestable dans cette intrigue en forme de partie d’échecs où l’enjeu matériel résidera toujours dans le legs de la fortune du patriarche. Pourtant, Bolognini n’oublie jamais que ses protagonistes n’en restent pas moins humains et c’est dans l’expression de leurs émotions qu’ils se perdront : Irène trop joyeuse lorsqu’elle approche du but, Mario le séducteur qui tombe amoureux contre toute attente et surtout Gregorio qui s’endort pour de bon après avoir goûté une dernière fois aux plaisirs de la chair. Au final, le constat s’avère identique et aussi cinglant que dans Le Mauvais chemin – les puissants sont toujours vainqueurs -, mais sans désormais qu’on s’émeuve du sort de victimes en définitive tout autant méprisables.

Titre original : L'Eredità Ferramonti

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Durée : 120 mn


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