Bubu de Montparnasse (Bubù, 1971)

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Avec Bubu de Montparnasse », Bolognini signe un grand drame romanesque sur la condition féminine. »

Réputé pour ses transpositions à l’écran de classiques de la littérature (Les Garçons, tiré du Ragazzi di vita de Pasolini, 1960 ; Le Bel Antonio, de Vitaliano Brancati, 1961, ou encore L’Héritage d’après Gaetano Carlo Chelli, 1976), c’est encore dans un livre que Mauro Bolognini va puiser son inspiration pour Bubu de Montparnasse. Librement adapté du roman éponyme de Charles-Louis Philippe, le film est l’un des plus romanesques de Bolognini et réaffirme le goût immodéré du cinéaste italien pour le drame d’époque en costumes. S’il partage cet amour avec Luchino Visconti, à qui il sera souvent comparé, Bubu de Montparnasse porte bien son empreinte propre, par une volonté de faire de son film une œuvre picturale, hommage totalement assumé à la peinture, impressionniste notamment. De fait, le moindre plan de Bubu est un véritable tableau en mouvement, suite aussi bien de pastels que d’aquarelles qui évoquent tour à tour Utrillo, Toulouse-Lautrec, Boldini ou Renoir.

Bubu de Montparnasse (Bubù tout court en version originale, puisque l’action du film a été déplacée en Italie), c’est un jeune boulanger paresseux qui plaque son job pour « gagner plus »  ailleurs. Par amour, Berta, sa copine, accepte de vendre ses charmes pour les faire vivre confortablement tous les deux. Mais Berta contracte vite la syphilis, infecte Piero, un de ses clients pour qui elle se prend d’affection et chez qui elle trouvera plus tard refuge, alors que Bubu est en prison pour avoir dérobé la caisse d’une boutiquière. Difficile de faire plus mélodramatique, donc. Le film, s’il est dans son ensemble désespéré, ne bascule pourtant jamais dans le pathos, préférant l’étude de mœurs à la grande fresque pathétique. Le titre n’est d’ailleurs guère plus qu’un point d’entrée : Bubu a beau être l’élément déclencheur du destin de Berta, c’est bien de cette dernière qu’il s’agit, elle dont on suit la trajectoire bafouée. Elle est interprétée par Ottavia Piccolo, déjà vue dans Le Guépard (1963) de Visconti et Metello (1970) du même Bolognini, et qui trouve là l’un de ses plus grand rôles.

 

Berta a, au départ, accepté la prostitution avec légèreté, par conséquence logique du sentiment amoureux. C’est grâce à ce postulat de base que Piccolo en fait un personnage jamais résigné, convaincu que si « [s]a vie est déjà toute tracée », ne baisse pourtant pas les bras. C’est ce qui fait que Bubu de Montparnasse est désillusionné mais dessine une jeune femme porteuse de l’espoir que sa vie pourrait toujours s’améliorer. Elle croit par exemple dur comme fer que renouer avec Piero pourra l’extirper de sa condition – ce n’est qu’à la toute fin que les hommes achèveront de la décevoir (le mari de l’amie qui l’héberge la tripote, Piero se désolidarise). Berta, dont le corps nu rappelle les baigneuses de Degas, est l’héroïne romantique d’un film attaché à montrer les classes populaires mais loin de toute volonté de vérisme, préfère l’atmosphère générale aux points de détail. De la ville, on sait tout juste qu’elle se trouve en Italie : pour le tournage, et pour des questions de budget, Bolognini a choisi de mélanger des séquences à Turin, Milan et Rome.

C’est bien l’atmosphère qui capte le plus l’attention dans Bubu de Montparnasse : un marché recréé de toutes pièces et filmé de très près pour donner l’impression d’un ensemble gigantesque, un papier peint qui semble rendre grâce au pointillisme, une chambre qui ressemble à celle de Van Gogh ou un déjeuner au bord de l’eau qui ferait jurer de voir Le Déjeuner des canotiers (1881) de Renoir s’animer sous nos yeux. Les couleurs incroyables de Ennio Guarnieri (tantôt pastels, tantôt éclatantes) et les costumes de Piero Tosi, fidèle de Bolognini, n’y sont pas pour rien. Mais c’est le sujet de la syphilis qui finit de marquer, mal des putes annonciateur, plus tard, du SIDA. « Ce mal deviendra notre torture, notre peste, notre enfer », affirmera l’une des prostituées au cours d’une procession funéraire. Car la maladie est ici universelle, et s’oppose à l’idéalisme sans faille de Berta et de Piero, avant que celui-ci ne la lâche. Et alors qu’il s’éloigne, elle lui hurle : « Pleure. Pleure et crève ». De son corps, elle n’aura plus jamais le contrôle, pas jusqu’à ce qu’il flétrisse. Mais c’est elle qui est plein cadre, maquillage qui coule et menton haut. On ne voit plus qu’elle : et de Bubu, il n’est même plus question.

Titre original : Bubù

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Durée : 100 mn


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