L’Enfer du dimanche

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« L’Enfer du dimanche » est avant tout l’un des seuls films à peu près regardables d’Oliver Stone de ces dernières années.

Sorti il y a dix ans, L’Enfer du dimanche est peut-être bien le dernier film d’Oliver Stone à peu près regardable. Tout au moins l’un des rares, avec à la rigueur le sympathique W, à savoir tirer de la mayonnaise visuelle désormais caractéristique de sa mise en scène un semblant de consistance. Car, si Stone ne fut jamais un grand cinéaste, si aucun de ses films, même parmi ses plus fameux et intéressants (Salvador, Platoon, Wall Street, Né un 4 juillet, Tueurs nés… en gros, à peu près tout ce qu’il réalisa avant le grand-guignolesque Alexandre – 2005), ne se hisse, en terme de pure proposition de cinéma, à la hauteur des chefs d’œuvre de Scorsese ou De Palma, il faut bien avouer que sa soif de faire du bruit, de tâter le pouls d’une Amérique en perpétuelle souffrance sut longtemps stimuler.

L’Enfer du dimanche (titre français nullissime, auquel on préfèrera clairement l’original Any Given Sunday) a cette chance de savoir colmater les grandes brèches de son scénario anémique (les dernières heures de la carrière d’un coach de football américain old school, Tony D’Amato, joué par l’impeccable-comme-toujours-Al-Pacino, entre remplacement de son quaterback blessé par un jeune chien fou aussi doué qu’arrogant, embrigadement de ce même chien fou dans les méandres du star system et de sa corruption, etc.) par une adhésion sans bla bla ni complexe au rythme et à l’esthétique de son sujet. En gros, le football américain étant aux USA un sport de grande médiatisation, chaque match appelant à la profusion des caméras, des commentaires et autres négociations entre financeurs, allons-y donc franco en matière de représentation de cette profusion. Au risque d’une indifférence parfois problématique à la distinction des valeurs, à la respiration globale d’un long métrage de 2h30 certes jamais ennuyeux, mais laissant au sortir un étrange sentiment d’oubli.

Un film « couillu »

Couillu au sens littéral, Stone ne manquant pas de filmer le plus possible les joueurs de l’équipe des Sharks de Miami dans les vestiaires ou sous la douche, en présence ou non des caméras (sachant que de toute manière, entre la caméra du cinéaste Oliver Stone et celles des journalistes du film, le partenariat reste de mise), se mettant sur la gueule ici, au bord de la caresse un peu plus loin. Un univers de mâles, en somme, dont l’entente sur le terrain repose très explicitement sur la juste cohabitation dans cette presque intimité. Le coup de force sera à partir de là, au-delà de la représentation de cette franche camaraderie n’interdisant jamais la rivalité, de rendre palpable la hiérarchisation plus ou moins implicite de cette cellule. Ainsi D’Amato saura toujours où se positionner dans le cadre, dans la pièce, afin de se faire entendre de tous à l’heure de la mise en place d’une stratégie de la dernière chance ; de même, son nouveau quarterback (joué par Jamie Foxx, dont c’était le premier rôle conséquent) ne manquera pas d’habiter l’espace avec la décontraction propre aux nouvelles stars, lors de la visite de la jeune propriétaire de l’équipe (Cameron Diaz, moyennement convaincante dans le registre de la fermeté sans malice).

 

                          

 

Tous les enjeux de la mise en scène d’Oliver Stone résident donc ici assez idéalement dans l’ivresse d’un raccord-tchatche, d’un travelling-punchline ou autre effet de style efficace sans être irritant. Stylisation aidant surtout, par un certain voisinage avec une esthétique clipesque à la Michael Bay, à mesurer à quel point Tueurs nés fut bel et bien le sommet en même temps que le point limite d’une aspiration très nineties à faire du cinéma un médium infaillible, tout de clins d’œil, suggestions ou autres interpellations. Un cinéma de pure force de frappe, donc, bombant le torse au moins autant que ses figures d’élection, toujours au bord de l’arrogance sans toutefois – en tout cas dans Any Given Sunday – trop céder à la volonté de dénonciation ou de décryptage ultra-partial, ultra-tendancieux des rouages d’une société ou le spectacle fait loi. A ce jeu-là, disons que Stone est même dépassé depuis quelque temps déjà par un certain Michael Moore, documentariste star dont l’art, qu’il parle du capitalisme, de la politique sanitaire américaine, de la libre circulation des armes ou de la bêtise foncière d’un chef d’état (pas un hasard si ce dernier fut le héros de l’un de leurs derniers films respectifs, preuve que les cinéastes-critiques sauront toujours identifier « à temps » les symboles de démystification du moment) consiste à créer lui-même, comme un grand, les situations les plus susceptibles de valider sa thèse. Cinéma pas moins couillu, s’il en est.

Parlons sport

Moins d’investigation, donc, pour le Stone de l’an 2000, mais, comme d’hab’, de l’ambition, et pas n’importe laquelle : faire, à partir du sujet le plus américain, le plus national qui soit le film le plus efficace du monde, le plus « américain », justement, ce qui veut à peu près dire la même chose. Les séquences couvrant un match sur la durée, de l’engagement au point ultime, sont donc filmées au plus près du sol, de l’armure, du choc. Force est de reconnaître que se fait jour dans ces instants surtout une foi dans le potentiel attractif et spectaculaire de ce sport ne manquant pas, à de nombreuses reprises, d’emporter le morceau, d’inviter à baisser définitivement les armes devant Any Given Sunday. Lorsqu’à l’ouverture du film le quarterback attitré des Sharks, joué par le toujours émouvant Dennis Quaid, se fait fracasser sur le terrain, quelque chose de la profonde injustice du sport s’incarne comme rarement, laissant comprendre que sur le terrain, héroïsme et chute avancent à probabilité égale.

 

                                                                                                               
Plus tard, passée la longue heure centrale nécessaire à faire croire qu’il y a quelque conte moral à tirer des mésaventures de D’Amato et ses poulains, se prépare puis s’impose le match ultime du coach, celui sur lequel repose pour lui, les joueurs, les politiques comme le peuple de Miami un intérêt commun (voisin quelque part de celui d’Invictus, magnifique dernier opus sous-estimé du vieil Eastwood). La beauté du moment réside ici encore dans le corps à corps sans excuse entre la (les) caméras et les joueurs, mais surtout, plus fort encore, dans un prolongement de l’intimité, la hiérarchisation des vestiaires dans le jeu lui-même. Inapte à poursuivre le match suite à un plaquage brutal, Quaid guide son successeur par l’intermédiaire d’un talkie-walkie en liaison directe avec son casque. L’efficacité juvénile de l’un s’appuie sur la méthode, l’ancienneté de l’autre, sous l’œil bienveillant et inquiet d’un D’Amato conscient que ce que l’on retiendra de lui, après plus de trente ans de carrière, c’est bel et bien le dernier match (il est en ce sens, et toutes proportions gardées, un peu le versant positif de notre Raymond Domenech, dont l’impossible communication/communion avec ses joueurs participa pour grande part de son départ sans éclat).
                                                                                                          
Pour ces moments-là, surtout, ce talent peu contestable d’Oliver Stone dans la captation de ce « petit quelque chose » faisant qu’à l’instant t, au jour de ce fameux « any given sunday », les querelles de pouvoir et autres affaires de poudre blanche, putes de luxe et conflit de générations passent à la trappe, on peut dire que son pari de réaliser un film de sport à peu près à la hauteur de ceux sur le Vietnam est réussi. Reste qu’en toute honnêteté, au-delà de cette seule cinégénie du football américain, de cette intelligence très américaine du spectacle, rien ou pas grand-chose ne reste pourtant d’Any Given Sunday, film peut-être trop lisse, trop simpliste dans son cheminement dramatique, manquant de cette hargne subversive des premiers jours. Car Oliver Stone, quoi que l’on pense de son cinéma en général, de chacun de ses films en particulier, tout excessif et peu subtil qu’il soit dans la mise en image de ses intentions, a pour lui, jusqu’en ses pires travers (World Trade Center, Alexandre, Wall Street 2…) de n’être identifiable qu’à la mesure de ses prétentions. Peut-être un peu trop modestes, concernant ce seul film, pour inviter à plus qu’une validation bienveillante de ses qualités.

©Warner Bros

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