Le Festin chinois

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La cuisine chinoise entre virtuosité moderne et déférence traditionnelle.

Une des thématiques récurrentes de Tsui Hark repose sur le questionnement voire l’opposition entre la tradition et la modernité. Le réalisateur aura abordé ces enjeux dans diverses approches. Sociale avec le rageur L’Enfer des armes (1980) et ses terroristes en herbe en colère contre la société hongkongaise. Historique avec la refonte du héros chinois Wong Fei-hung dans les trois premiers volets de la saga Il était une fois en Chine (1991, 1992 et 1993). Philosophique avec la relecture du conte traditionnel dans Green Snake (1993) et même romanesque avec le magnifique The Lovers (1994) et Histoires de fantômes chinois (Ching Siu-Tung, 1987), qu’il produit. Dans cet ensemble, Tsui Hark témoigne d’une ambivalence entre le respect des traditions (la vraie dimension nostalgique et les clins d’œil aux précédentes versions filmées des contes qu’il adapte) et la volonté de les bousculer en profondeur, dans le fond comme dans la forme – le message féministe introduit dans Green Snake, le patriotisme de Wong Fei Hung discuté, The Lovers et ses étonnantes tendances queer, l’horreur façon Evil Dead de certains moments d’Histoires de fantôme chinois).

Le Festin chinois est une des approches les plus ludiques de ce thème, en plus d’être une des œuvres de Tsui Hark les plus populaires à Hong Kong. Le film est au départ une commande pour le grand film populaire de fin d’année à Hong Kong et Tsui Hark décide d’y traiter un sujet qui lui trotte à l’esprit depuis longtemps : l’illustration et l’ode à la cuisine chinoise traditionnelle. Tout dans le récit tourne autour de cette réflexion entre tradition et modernité. Le héros, Chiu (Leslie Cheung), aspire à abandonner sa carrière de petite frappe pour devenir cuisinier quand Au Ka-Wai (Anita Yuen), la fille excentrique de son patron, rejette cet héritage et rêve d’une carrière de chanteuse. Cette tradition va se voir menacée par le défi lancé par un maître cuisinier mongol : le vainqueur du duel dans la réalisation du mythique festin chinois, grande cérémonie gastronomique, deviendra propriétaire du restaurant familial. La voracité capitaliste et les expérimentations culinaires de l’adversaire (Hung Yan-yan qui entre Il était une fois en Chine III en 1993 et The Blade en 1995 compose toujours des méchants mémorables chez Tsui Hark) impose un versant sombre de la modernité dans une volonté industrielle d’écrasement des autres. Pour nos héros, au contraire, ce sera une forme d’accomplissement et le moyen de trouver un sens à leur jeunesse oisive, voire même une rédemption pour le maître cuisinier déchu Kit (Kenny Bee), qui a autrefois tout perdu pour son art.

Tout cela est amené avec une bonne humeur réjouissante par un Tsui Hark déployant une énergie folle, parfois déroutante, à l’instar d’une entrée en matière hystérique façon comédie cantonaise bien grasse. Dès que l’enjeu culinaire se pose, l’ensemble devient captivant avec un propos à la fois didactique et virevoltant qui nous fait découvrir les arcanes de la cuisine chinoise. Les origines du fameux festin chinois offrent un aparté historique passionnant tandis que la remise sur pied de Kit donne d’hilarants moments comiques, lui qui doit absolument retrouver la maîtrise totale de ces cinq sens. Ce dernier point introduit d’ailleurs l’illustration de la cuisine par Tsui Hark, lors de l’affrontement final. On reste dans la tradition avec la description pittoresque des plats constituant le Festin (patte d’ours, trompe d’éléphant et cervelle de singe au menu, entre autres), cette excentricité se prolongeant dans la préparation où Tsui Hark inclut les codes du cinéma d’arts martiaux avec les techniques virtuoses de nos cuisiniers. Les légumes se découpent en un coup de couteau savamment asséné, les bottes secrètes permettent d’introduire une saveur inattendue et nous ne sommes jamais perdus puisque Tsui Hark introduit même les codes du manga shonen avec les jurés observant et faisant des commentaires instructifs durant l’exécution délirante des plats.

Le réalisateur rend l’ensemble alléchant et olfactif par cette approche qui creusera l’estomac de tout spectateur, qui oubliera là l’exotisme des plats – et une « caution SPA » faisant office d’excellent rebondissement. Les personnages, attachants, contribuent également à nous emporter dans ce monde inconnu, notamment le couple formé par Leslie Cheung (que l’on a rarement l’occasion de voir dans ce registre de comédie, dans ses rôles parvenus en France tout du moins) et l’exubérante Anita Yuen. Un des films les plus lumineux et enjoués du réalisateur.

Titre original : Jin yu man tang

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Durée : 100 mn


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