La Comtesse

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Froid et d´apparence malhabile, après « Two Days in Paris », Julie Delpy signe un film complexe, voire déroutant. Mais aussi l´un des plus romantiques depuis… depuis quand déjà ?

Et pourtant c’était mal parti. Daniel Brühl traversant à cheval l’écran de gauche à droite dans les landes verdoyantes, ça sent le réchauffé. Il vient se recueillir sur une tombe et égrener ses souvenirs sur la défunte. Le film offre donc la vision qu’a eu son amant d’Erzsébet Báthory, l’une des femmes les plus puissantes de la Hongrie du XVIIème siècle. Une vision nécessairement partielle et orientée : précise quand il s’agit des moments que le couple a partagés, fondée sur des « on dit », les actes de son procès ou son journal pour le reste. C’est en assemblant ces diverses traces d’une existence que István Thurzó compose sous nos yeux, le temps que dure le film, le portrait de la comtesse. Ainsi s’explique le début du film qui peut sembler lourd et sans originalité. Elliptique et pleine de clichés, les jeunes années de Báthory ont tout du biopic hollywoodien. Mais c’est ainsi que se les représente son amant, et par lui la société masculine de l’époque. Portrait d’une femme de pouvoir, d’une romantique extrême et sans doute d’une meurtrière, il ne faut jamais oublier que le film de Julie Delpy s’initie dans un regard masculin avec tout ce que cela peut comporter d’imagerie fantasmatique et de clichés sur la féminité.
 
Histoire d’amour donc. Celle contrariée entre Erzsébet (Julie Delpy), veuve du compte Báthory, et István dont elle a refusé le père en secondes noces. Cette union officieuse déplaît. Différence d’âge, orgueil et surtout volonté politique vont s’affronter. Les Báthory étaient une famille puissante, importants propriétaires terriens et créditeurs du roi. Erzsébet, une femme influente et lettrée. Elle gêne. Son amour avec le jeune István vient mettre en lumière tout ces éléments. Le film traversera ainsi différents genres cinématographiques selon les périodes de la vie d’Erzsébet. Extrêmement sensuel lors de la naissance de l’amour, la rencontre entre les deux amants donne lieu à l’une des plus belles scènes de danse au cinéma depuis Lemming de Dominik Moll (2004), voire Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick (1999) sans l’égaler, comme révélateur d’une intériorité.

Julie Delpy montre la cristallisation du sentiment d’Erzsébet sur le corps jeune et pâle d’István. Il ne faut pas s’y tromper, la réalisatrice ne fait pas de son acteur un sex-symbol universel, mais il devient un objet de désir pour Erzsébet qui détaille ses bras, le grain de sa peau, son hâle comme pour le retenir plus longtemps, comme si elle l’avait déjà perdu. Sa fascination pour le jeune homme est double : il est à la fois le corps aimant, l’amant dévoué, mais aussi cette jeunesse qui la quitte peu à peu et la mène déjà à des actes extrêmes, sans doute incompréhensibles pour beaucoup, qui font du film l’un des rares exemples de romantisme aujourd’hui : un romantisme noir, sans extase, mais avec perte et abandon. C’est moins d’une folie névrotique déjà présente en elle que du manque d’amour qu’Erzsébet souffre dans son corps. Chose apparemment impensable aujourd’hui, car jugée trop naïve et désuète, Julie Delpy vient affirmer que l’on peut mourir d’amour.
 

  
 
L’interruption de leur histoire plonge peu à peu la comtesse dans la folie…. Du moins selon les minutes de son procès. Découvrant par inadvertance les bienfaits du sang d’une jeune vierge sur sa peau, la voici donc en quête de sang frais comme élixir de jouvence. Erzsébet étale le sang sur sa peau telle une crème de jour pendant que les corps des victimes s’entassent dans la forêt. Masquer la vieillesse naissante par la fraîcheur, La Comtesse fait de la cosmétique un masque de mort. Comédie illusoire, il s’agit de paraître aux yeux du monde (masculin) dans une image figée de beauté éternelle. Sang ou crème antiride, est-ce toujours de la mort qui s’étale sur les visages ?
 
On parlait il y a peu de film mal aimable pour Helen, autopsie d’une disparition (Joe Lawlor & Christine Molloy, 2010). Il y a quelque chose de semblable dans le film de Julie Delpy. Le film est froid, gène car il n’apporte pas de réponse, et ne joue pas sur l’empathie avec le personnage. Il n’est qu’une brèche ouverte sur un mythe. Femme manipulée ou folle furieuse, Delpy refuse cette simplicité pour un portrait pluriel qui n’est pas dans la soustraction (intelligente ou démente), mais dans l’addition des caractéristiques. Il n’y a pas une mais des Erzsébet Báthory, pas un mais des films possibles. La Comtesse n’est ni fresque historique, ni thriller sanguin. Ni fable politique, ni conte gothique. Julie Delpy met en scène des hypothèses, l’invention de la folie de la Báthory pour l’écarter de la scène politique et réduire sa puissance à néant en est une parmi d’autres. Cette absence de choix ferait le défaut de bon nombre de films, la réalisatrice parvient à en faire une force. Refusant la facilité d’une histoire plus aguicheuse, Delpy fait aussi état d’une impossibilité : celle de réduire une vie en un film, une personne en images.
 
 
On peut aussi penser au Ruban blanc de Michael Haneke (2009). Chercher dans une histoire ancienne les sources ou les constantes du contemporain, en évitant toutefois le jeu parfois trop simple de la métaphore : machisme de la société et difficultés d’une femme qu’on voudrait réduire à un objet de trouver un équilibre entre le statut désiré et le statut imposé. Si Erzsébet Báthory est devenu folle, peut-être en est-ce la raison. On pouvait déjà observer cela en filigrane dans certaines séquences du beau Two Days in Paris. Ambitieuse, Julie Delpy ne se rend pas la tâche facile, au risque de perdre quelques spectateurs en route. Loin d’être parfait, La Comtesse confirme néanmoins deux qualités de son travail : l’intransigeance et le talent. Deux choses rares.

Titre original : The Countess

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Durée : 94 mn


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