Helen : autopsie d’une disparition

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Drôle de film, mal aimable, en apparence sans enjeux… dont la matrice est pourtant la plus essentielle qui soit : le possible accueil – en soi, avec soi, chez soi – de ce qui a priori ne nous regarde pas.

Ne nous y trompons pas : quoi que nous promette son titre français, le premier long métrage du duo Joe Lawlor / Christine Molloy ne fera pas de la disparition l’objet d’une autopsie ou d’une enquête, mais un simple prétexte, un horizon. Prétexte à la fiction d’Helen, lycéenne désignée par la police pour « incarner », le temps d’une imperceptible enquête, sa camarade disparue (avec port de ses vêtements du dernier jour, retour sur les derniers lieux…). Horizon pour cette même Helen et sa fiction d’un retour à soi par l’incarnation d’un gouffre, d’une absence. Là se situe peut-être, sinon la beauté de ce film difficilement aimable, limite ennuyeux, au moins sa persistante étrangeté. Une étrangeté sans inquiétude, ordinaire, n’en demandant pas tant (Freud a quelque chose à voir ici, c’est évident, mais en filigrane, comme embusqué dans la constance d’une mélodie, tel hiératisme des corps, certaine scène un peu crépusculaire).

Helen : autopsie d’une disparition intrigue ainsi par la quasi impossibilité de relever dans ses 1h19 quelque promesse de suivi durable du drame et des traumas qui pourtant lui tiennent lieu de sujet. Rencontrer le dernier boyfriend puis les parents de la disparue, se substituer à cette dernière pour planifier sa propre perte de virginité, découvrir sur le tard – c’est une enfant abandonnée – un éden familial sont alors moins les symptômes d’un vice caché de la jeune fille que de l’acceptation finalement peu scandaleuse de ces nouvelles perspectives. C’est donc sur le dessin subtil d’une ligne de vie et non la tentative obsessionnelle de combler un manque, résoudre l’énigme d’un crime potentiel que reposera tout le long l’équilibre fragile du film. Helen ne sera jamais tout à fait l’histoire d’une jeune fille en quête d’identité, d’amour ou simplement d’elle même (en tout cas jamais exclusivement), mais le terrain à la fois très délimité et toujours ouvert d’une (re)naissance au jour le jour. Step by step.

                                                                                                      

Que dire d’ailleurs d’Annie Townsend, la jeune actrice incarnant le rôle titre, sinon qu’interpelle moins chez elle la particularité de son jeu que l’imperceptibilité même de celui-ci. Aucun geste superflu chez elle, susceptible d’aider à l’identification d’une héroïne. Comme si de chaque côté de la caméra, la neutralisation se voulait à la fois évidence (tout semble aller de soi, dans l’histoire comme dans sa mise en scène) et recherche (Helen n’est certainement pas un film artistiquement « modeste » – il n’y a qu’à voir la prégnance de la musique entêtante de Dennis Mc Nulty). De cette homogénéité, cette absence de hiatus entre la forme et le fond, le film tire à la fois sa singularité et son relatif académisme. Académisme d’un certain cinéma qui, sous couvert de la quête identitaire d’une poignée de personnages – parfois d’un seul, si l’on prend par exemple le flasque Adoration d’Atom Egoyan, sorti l’an dernier –, ne travaillerait au fond qu’à l’assemblage appliqué des pièces faussement dispersées de son petit puzzle existentiel. Prend moins corps à ce jeu-là l’espoir d’un apaisement desdits personnages que l’impression persistante d’une ignorance par le cinéaste lui-même des tenants et aboutissants véritables de cette quête.

Singularité néanmoins, dans le présent film, inhérente à cette franchise esthétique de départ, cette lucidité transparaissant de tout plan, indiquant que décidément non, le destin d’Helen n’aura rien d’extraordinaire. Helen : autopsie d’une disparition apparaîtrait d’ailleurs comme l’un des films les plus cohérents du moment. Nulle esbroufe ou travestissement trahissant ici une aspiration à être manifestement d’aujourd’hui. Il ne fait pourtant aucun doute que ce film saisit bien quelque chose d’aujourd’hui, parvient plus d’une fois à retranscrire les flottements, la lointaine mélancolie pop accompagnant aux heures de pointe l’homme et la femme des villes. La question de la disparition pourrait même se lire au-delà de sa seule littéralité. Celle-ci, par le biais de la relance d’une vie (celle d’Helen, gagnant ou pas à prendre acte de ses origines), serait l’autre nom de l’anonymat, l’adhésion muette au passage des jours comme aux signes fluctuants de notre temps.

                                                                                                             

Qu’une jeune fille puisse endosser sans remords ni risque de représailles le costume d’une autre figure – éclipsée – de sa génération ; que ceux qui aimèrent cette figure consentent ou entreprennent de l’« adopter », lui offrir ce qui a priori ne lui était pas dû, et tout cela sans le moindre tapage sont les marques d’une belle utopie, excédant le seul cinéma. Celle d’une familiarité de toute chose, d’une hospitalité allant d’elle-même, en une époque où le sentiment d’insécurité (sociale, physique…) fait loi. D’une étrangeté sans inquiétude, en somme.

Titre original : Helen

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Durée : 80 mn


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