Incendies

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En adaptant Wajdi Mouawad, Dennis Villeneuve montre sa maîtrise autant que ses faiblesses. « Incendies » n´est qu´une semi-réussite, mais d´un réel intérêt. A suivre de près.

C’est avec curiosité que l’on attendait le quatrième film de Denis Villeneuve (Un 32 août sur la terre), autant en raison de la belle réputation qu’il s’est taillée dans divers festivals internationaux (la prestation de Lubna Azabal fut notamment beaucoup saluée), que pour la pièce dont il est tiré. Le réalisateur québécois adapte en effet Incendies de Wajdi Mouawad, issu de la tétralogie Le Sang des promesses, qui fit les honneurs du festival d’Avignon lors d’une présentation fleuve en 2009. De ce choix ambitieux et périlleux, Denis Villeneuve tire un film incisif et puissant, deux qualités qui par effet de ricochet se révèlent aussi en être les limites.

Incendies met en scène une histoire complexe qui fait le pont entre deux époques sur fond de conflit au Moyen Orient. A la mort de leur mère, les jumeaux Jeanne et Simon sont chargés par testament de retrouver leur père qu’ils croyaient décédé et un frère dont ils ignoraient l’existence. Cette quête les mènera du Québec au Moyen Orient, sur les traces d’une mère qu’ils ne connaissent que mal et leur fera remonter le cours de l’Histoire. Rarement situé géographiquement, le film, dans une chronologie morcelée, alterne entre les années 1970 et le début des années 2000, passant de l’enquête, de l’histoire qui se reconstitue au récit au cœur des événements, l’ensemble marqué par un chapitrage de lettres rouges qui viennent déchirer régulièrement l’écran.

« Rien n’est plus beau que d’être ensemble. »

Cette phrase qui scande les lettres de la disparue est la profession de foi du film, là où la colère semblerait toute indiquée. Les incendies s’allument, la violence flambe entre les peuples et il faut chercher à l’apaiser au sein d’une même famille. En ce sens, le film est immédiatement séducteur : au caractère informatif, il ajoute un poids de l’histoire qu’on ne peut réfuter, supporté par un personnage fort. L’adhésion est implacable. D’autant que Denis Villeneuve fait preuve d’une maîtrise formelle assez impressionnante : aisance dans le passage, souvent thématique, entre les époques, jeu sur les différentes langues, tension du récit et des plans, qualités plastiques de l’image…


 

C’est donc de façon bien surprenante qu’à mesure que se déroule le film, l’engouement, l’adhésion s’envolent, lentement mais indéniablement. Pour le moins, l’histoire est chargée : lourdeur du sens, poids de l’émotion… Incendies ne parvient pourtant jamais réellement à transcender son récit par l’image. Il est une mise en image, par ailleurs loin d’être mauvaise, de la pièce de Wajdi Mouawad, mais peine à en être une mise en scène. Jamais il ne dépasse la simple illustration pour accéder à la parabole. L’histoire est racontée, mais peut-être pas transmise. Denis Villeneuve part avec l’inévitable handicap de l’adaptation : remplaçant l’espace abstrait de la pièce – lui-même metteur en scène, Wajdi Mouawad s’illustre souvent par la simplicité et la radicalité de ses décors – par le décor naturel, il perd en puissance évocatrice. Effet pervers de l’adaptation, le film perd la dimension mythique du texte et donc en grande partie sa substance. L’emphase reste, mais le tragique s’évanouit, donnant la sensation qu’Incendies va trop loin, là où il est simplement victime de son incapacité (ou d’une impossibilité?) à métamorphoser le théâtral en cinématographique.
 

A ceci s’ajoute quelques séquences « grand genre » qui détonnent du reste du film, à l’image de la scène d’ouverture : en extérieur, le plan montre un palmier, la caméra effectue un zoom arrière et on pénètre dans une pièce où des miliciens rasent des enfants. L’un d’entre eux tourne le regard vers la caméra pour nous prendre à témoin. Léger ralenti au son de You and whose army ? de Radiohead. Lyrisme chic et bon marché qui se rapproche plus du ton culpabilisateur de pacotille d’une pub d’Action contre la faim que de la scène choc à laquelle aspire Villeneuve. Moins que les moyens engagés – le récent et beau Même la pluie d’Iciar Bollain fait des merveilles avec des moyens proches –, ce sont ses intentions qui décrédibilisent le film.

Au final, Incendies apparaît comme un film schizophrène : mené en partie de mains de maître, mais rattrapé par de mauvais démons, ambitieux mais lâche, intelligent mais aussi grossier. Porté par ses acteurs (plus que Lubna Azabal, c’est la jeune Mélissa Désormeaux-Poulin qui marque les esprits par sa discrétion et sa finesse dans le jeu), s’il n’est pas le chef-d’œuvre que certains se sont plus à décrire, il a au moins le mérite de s’attaquer à la fresque historique en évitant d’en faire un monstre pétaradant de toutes parts – en ce sens, privilégiant la relation à l’acte, et par l’humanisme qu’il souhaite véhiculer, il n’est pas si éloigné de Des Hommes et des dieux. Le film montre aussi les qualités d’un cinéma québécois qui finalement ne parvient que rarement sur les écrans français. C’est toujours bon à prendre.

Titre original : Incendies

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Durée : 100 mn


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