Même la pluie

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C´est un beau roman, mais pas une belle histoire. De quoi décuver sans trop de complaisance après les fêtes… C´est facile de refaire le monde avec du champagne !

Même la pluie est un film qui ne paye pas de mine, un objet innocemment contendant, à double tranchant. Ce potentiel agressif, toutefois dosé juste ce qu’il faut pour faire passer la pilule aux plus douillets, on le doit à l’un des scénaristes fétiches de Ken Loach, Paul Laverty, déjà couronné de lauriers pour Sweet Sixteen (2002) à Cannes ou It’s a Free World (2007) à Venise… aussi dans le coup pour la Palme d’Or du Vent se lève (2006). C’est dire s’il est efficace. Mais pas stupide pour autant.

L’histoire est simple : le joli Gael García Bernal débarque en Bolivie le cœur plein à craquer d’élans humanistes, pour tourner une fresque historique autour du prêtre dominicain Bartolomé de Las Casas, vénérable défenseur des indiens alors exploités et massacrés par les colons espagnols au XVIe siècle. L’équipe organise un casting géant afin de dénicher, entre la foule de boliviens affamés, la perle rare qui jouera le chef rebelle Hatuey : Daniel. Seulement, manque de bol, c’est aussi le leader des mouvements qui enflammèrent Cochabamba en 2000, lorsqu’à la suite de la privatisation du service d’eau potable, la compagnie Aguas de Turani mit la main sur toutes les concessions aux alentours de la ville. Adieu l’indépendance, le contrôle individuel des puits… Bonjour la redevance, les impitoyables factures à rallonge, inabordables pour la majeure partie de la population. Le président de l’époque, l’ancien dictateur Banzer, ne bouge pas d’un poil. Le conflit explose, menace de gagner tout le pays. Nos héros tombent pile au bon moment. Qu’adviendra-t-il de leurs beaux discours face à la situation ?

Donnez leur de la brioche, comme disait Marie Antoinette !
 
 

Caméra épaule, Maria ne rate pas une miette des événements. Cette réalité brute culbute, abîme et supplante le monument édifiant que Sebastian, obstiné, tente d’ériger. La démonstration de bonne foi vire au bras de fer, alors que la guerre de l’eau se surimprime à la soif de l’or. Finalement, Colomb a l’air d’un sage à côté de ses camarades si mignons, si gentils, si harangueurs et séducteurs. Du moins, s’il n’est pas Dieu, ni même un saint, c’est bien un homme faillible, sujet à la lâcheté, l’avarice, et l’égoïsme. Le célèbre navigateur est d’ailleurs incarné par un acteur certes brillant, mais alcoolique et loser notoire, torturé par ses fantômes. Apparemment désinvolte, le loustic compose surtout avec le tout venant, sans donner de leçon à personne, alors que ses comparses refont l’histoire autour d’un banquet… Qui a été le moins salaud ? Pardon. Qui a été le plus estimable ? Car, au fond, nous nous gardons bien de penser que la bêtise ou l’intolérance aient pu être choses les plus communes et les mieux partagées par les citoyens de notre Occident éclairé.

Il ne s’agit pas de déméler le Bien du Mal, puis de choisir son camp après la bataille. Tel manichéisme n’a pas sa place dans le film. Icíar Bollaín l’esquisse dans le seul but de l’estomper. Exit l’autoflagellation, tout comme son pendant implicite, la rédemption. On ne redore pas son blason en sanctifiant les moralistes bafoués, qu’ils soient ou non les inventeurs du terme « génocide ». On se fiche pas mal, en somme, de savoir si la maman du général Custer cautionnait ou non le fascisme précoce de son tendre enfant. Quand bien même elle aurait eu envie de le corriger : le mal est fait, il faut vivre avec. Et, pourquoi pas – soyons fous ! –, en tirer les enseignements, plutôt que de renâcler sans cesse. A l’heure où les occidentaux se complaisent dans les commémorations en tous genres, où nous nous douchons de culpabilité pour mieux nous laver de tous soupçons, Même la pluie donne matière à penser sur l’état du monde et de la politique internationale.

 

Malgré leur portée, les enjeux de cette fable sont avant tout intimes, articulés autour de Costa, le producteur cynique, ravi de constater qu’en Bolivie on peut faire le bonheur de ses employés en les payant deux dollars la journée, et de Sebastian, le réalisateur pur et illuminé, mû par son idéalisme érudit. Tous deux seront amenés à découvrir une autre facette de leurs personnalités, a priori attendues. Daniel va les forcer à réévaluer leurs priorités. Les embrouilles dans lesquelles il se retrouve embourbé vont les acculer au pied du mur. Doit-on accepter de rendre Daniel à la Police à la fin du tournage, après avoir lâché un pot de vin pour sa libération ? Peut-on sincèrement lui ordonner de rester à l’écart des émeutes alors que sa vie est en jeu ? Devant le journal télé, nos espagnols s’émeuvent : les flics sont violents, ils tapent dans la masse. C’est scandaleux ! Daniel revient amoché : on l’engueule. Quel connard ! Mettre en danger le tournage pour de la flotte… Et ça y est les clichés pleuvent : « Tu fais l’Indien fier et taciturne, c’est ça ? », « Les Indiens ont la méfiance dans les gênes, et en plus ils sont analphabètes », « Si on cède d’un pouce, ces Indiens nous ramèneront à l’âge de pierre ». Comme au bon vieux temps…

Je vous méprise, vous et votre Dieu ! Je vous méprise, vous et votre convoitise !

Dans de telles circonstances, le tournage du film se pare d’une coloration plus vraie que nature. Les séquences fictives trouvent leur écho dans les actualités. Sebastian endosserait presque la dépouille de Christophe Colomb. On pensait s’en être débarrassé… Ce n’était pourtant pas faute d’exorciser le démon, en insistant sur les détails les plus glauques, comme par exemple, la noyade organisée par leurs propres mères des bébés indiens, afin d’éviter leur dévorement par les chiens des conquistadors. Il faut croire que ce genre de détails – malsains ? – ne travaillent que les blancs, puisque les figurantes, choquées, refusèrent d’achever la scène.

Un bref moment de redoux, lors d’un tête à tête fraternel entre Costa et Sebastian, laissait présager le pire. Costa essayant de réchauffer le cœur refroidi de Sebastian, on a eu peur un moment qu’Icíar Bollaín n’aille pas jusqu’au bout de son entreprise de démystification. Si elle refuse clairement de se lancer dans la démolition rageuse, elle mène sa barque sans renoncer. La mégalomanie de Sebastian éclate au grand jour. Costa, lui, a clairement trouvé le rôle de sa vie. Mais personne ne sortira angélique du périple. Même Daniel, contraint de trahir ses engagements pour survivre. Le final a beau demeurer plutôt unanimiste, le tout saupoudré de préceptes bienséants : on le sait, il faut parfois embrasser son ennemi pour l’étouffer. Au bout du compte, les indigènes, si sales et si pauvres, gagnent en majesté, alors que nos vedettes miséricordieuses, si élégantes et si bonnes, perdent sacrément de leur rutilance. Effet secondaire assez rare pour être apprécié… On espère que ce film intelligent connaîtra le succès à Hollywood !

Titre original : También la lluvia

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Durée : 103 mn


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