DVD « Barbara »

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Désormais disponible en DVD, le dernier film de Christian Petzold se dévoile, au-delà de sa mise en scène faussement sage, comme une oeuvre à la fois délicate et hantée.

Allemagne de l’Est, 1980. Dès le générique, on hume les fragrances crépusculaires d’un totalitarisme soviétique aussi kafkaïen qu’orwellien. Et on craint la résurgence de deux succès récents du cinéma allemand, que certains peuvent avec le recul juger racoleurs, voire faisandés : Good Bye Lenin! (Wolfgang Becker, 2003) et La Vie des autres (Florian Henckel von Donnersmarck, 2006). Autant de fausses pistes.

Le film commence par brasser des schémas attendus : froideur et paranoïa, sexe et argent. Barbara est médecin. De Berlin, elle est mutée vers un hôpital de province. Motif : elle avait tenté de passer à l’Ouest. Elle n’a pas renoncé. Froide, taciturne, elle cache bien son jeu. C’est qu’à l’Est, comme elle le déclare à l’amant qu’elle rencontre clandestinement et qui organise sa fuite, aucun bonheur n’est possible. Le supérieur hiérarchique de Barbara, André, est un médecin barbu qui semble lui aussi dissimuler des secrets : serait-il complice de l’officier qui surveille Barbara ? Ou bien son amoureux transi ? Peu à peu, pour Barbara comme pour le spectateur, c’est cette dernière hypothèse qui s’impose. La maladresse du médecin atteste sa sincérité, le rend un peu pitoyable, et au fil des rebuffades – qu’il accueille par des silences désemparés – il en devient touchant. Aux yeux du spectateur d’abord. Et également, semble-t-il, à ceux de Barbara.

Derrière sa simplicité de façade, l’intrigue du film obéit à une construction subtile. Ainsi, des sous-récits semblent plaqués presque inopinément sur la trame principale, chacun suggérant à quel point l’amour est chose fragile, sans cesse en péril, donc précieuse. À la lumière de cette vérité délicate, Barbara se voit contrainte d’opérer des choix dont dépendront non seulement sa propre vie mais aussi celles de plusieurs êtres – le plus souvent plus vulnérables encore qu’elle-même. De ces dilemmes, nous verrons l’issue, mais pas les ressorts intérieurs. Non seulement le jugement est suspendu, mais l’interprétation des actes restitués par un filmage imperturbable est laissée à la discrétion du spectateur.

La beauté fragile du film tient d’abord à l’attention transie que la caméra, bandée comme un arc, semble porter à ses personnages, à leurs situations complexes ou irrésolubles. Ce à quoi invite le film, l’air de rien, c’est à s’aventurer en terre inconnue. D’un plan fixe et large au panoramique très sobre qui le suit, quelque chose de discret semble se construire : tout est trop bien cadré, trop tranquille en surface pour qu’articulée à une telle tension morale et affective cette placidité extérieure ne paraisse pas suspecte. De fait, même au milieu de la routine et de l’ennui, la photographie du film n’a rien de morne. La lumière l’irradie, le vent souffle et les grands arbres paraissent autant de témoins muets, dont bruisse le feuillage opaque. Le silence n’est pas oppressant : les oiseaux chantent, jusqu’au générique de fin (bruitages surmixés). Parfois résonnent des extraits de Brahms ou Chopin, furtifs moments de grâce qui pourraient presque passer inaperçus, tels des échos de la mélancolie et des doutes qui semblent hanter Barbara sous son masque frigide d’étrangère.

Barbara – dont le nom désigne justement en grec l’étrangère – est certes une énigme, mais c’est d’abord un corps. Ce corps est à peu près de chaque scène. Nina Hoss, saisissante, lui prête ses traits secs, son port altier. Cette femme approche la quarantaine : toujours belle, elle commence à vieillir. De là, peut-être, ce raidissement supplémentaire. Hitchcock en aurait fait un glaçon brûlant, au visage trop lisse, surmaquillé, suréclairé, yeux et bouche entrouverts comme un sexe rétif (Tippi Hedren dans Les Oiseaux et Pas de printemps pour Marnie) : Christian Petzold, lui, souligne ses aspérités, ses rides, cette troublante crispation qui finit par nous émouvoir. Grâce à ce corps pris dans un périlleux jeu de forces contraires, le film devient beaucoup plus terre à terre, viscéral sous son vernis glacé. Une blessure au talon – filmée de loin – et c’est un évènement. Un sourire – longtemps attendu, plus beau encore qu’étrange – et c’est une déflagration. Nous nous croyions en terre barbare, mais c’est notre propre désarroi de spectateurs devant ce monde à la fois révolu et étrangement proche que nous reconnaissons, tel un reflet spéculaire, dans le visage de Barbara.

Barbara de Christian Petzold – DVD édité par Jour2Fête – Sortie le 17 octobre 2012 

Titre original : Barbara

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Durée : 105 mn


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