De quoi s’agit-il ? D’un film qui se veut hommage appuyé et sincère, toutefois assez maladroit parfois, au maître Bresson que Michel Franco avoue avoir vu mille fois et dont il relit sans cesse les Notes sur le cinématographe qui vaut mieux que quatre écoles de cinéma. Et toc pour la Fémis ! Il est vrai que certains plans sont bressonniens, même s’ils s’en éloignent aussi par la manière de traiter le sujet en étant finalement au plus près de l’intime et du drame – hormis la scène finale qui présente, de face, dans sa barque, sur l’immensité des eaux, le père qui vient de rétablir, ou croit avoir rétabli, la justice. Mais on ne peut pas dire que la jeune Alejandra, malgré la justesse de son jeu, puisse être comparée au moins une seule fois à Mouchette : il manque au film une dimension métaphysique.

Lent à démarrer, Después de Lucía ne décolle jamais vraiment. On reste toujours au ras des pâquerettes alors que le sujet aurait demandé plus de hauteur, un supplément d’âme. Certains pourront toutefois arguer que cette non-prise de position était nécessaire et qu’en faire un mélo aurait peut-être été un échec. Pourtant, le réalisateur, en affirmant que son film bouleverse certains spectateurs, gomme le côté froid, pour ne pas dire clinique, du traitement de son histoire.
Alejandra vient de perdre sa mère dans un accident de voiture. Pour fuir la ville où s’est déroulé le drame, Alejandra et son père partent s’installer à Mexico, sans avoir pris le temps de faire le deuil, ou tout du moins de se parler. Chacun des deux se mure alors dans un silence accablant et une grande solitude : le père ne parle jamais ou presque de la mère, abandonne la voiture tout juste réparée en pleine rue, souffre mais se tait. Il en ira de même de sa fille qui se terre dans le silence elle aussi et ne dit mot lorsqu’elle devient le bouc émissaire d’une classe de tortionnaires en herbe.
On passera sous silence les invraisemblances du scénario, notamment sur le mutisme et la non-assistance à personne en danger de la part des professeurs, on taira la mollesse du montage et le parti pris du quotidien. Le film est servi par d’excellents acteurs, une photo très intéressante. Il manque cependant un charisme et une chaleur humaine, comme si Franco était si effrayé par son sujet qu’il le tenait prudemment à distance. Difficile d’avoir l’impression qu’il comprenne la jeunesse ou apporte la moindre réponse à la violence qui s’est emparée de tout le monde occidental, sauf peut-être lorsqu’il semble condamner le consumérisme autour des vêtements et des téléphones portables qui fleurissent dans toutes les poches et servent à tout, comme ici à détruire des réputations et à faire fleurir le mal.

Devant cette classe déchaînée, notamment dans la séquence du gâteau d’anniversaire, qui n’a aucun geste ni mot désagréable pour le corps professoral (contrairement à des films comme La journée de la jupe, Comme un homme ou Entre les murs), on est pris d’un vertige terrible comme si ces jeunes étaient étrangers à toute humanité, déshumanisés ou en tous cas déculpabilisés par l’Internet, les jeux vidéos et la dislocation des familles. Seul le couple formé par le père et sa fille tente de résister et de continuer à offrir une image pacifiée. Tout le reste se délite : on sort de ce film démoralisé, pour ne pas dire angoissé. En interview, Michel Franco insiste surtout sur l’aspect technique de son tournage, sur la manière dont il a fait travailler les adolescents, beaucoup moins sur le contenu de son film, loin d’être anodin et qui interroge pourtant sur la loi de l’omerta, sur la culpabilité que ressent toute victime et sur la banalisation de l’acte sexuel, sans doute à la base de toutes nos psychoses collectives. Et que devient un enfant quand sa mère meurt à part errer seul, devant et dans la mer ?