À la merveille

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Terrence Malick surfe sur la réussite de « Tree of Life » avec une ode à l’amour passionnel qui manque son coup.

Prolifique, Terrence Malick l’est de plus en plus. Après un intervalle de vingt ans entre Les Moissons du ciel (1978) et La Ligne rouge (1998), le voilà qui réalise des projets à toute allure, dans une frénésie qui pourrait avoir pour conséquence d’altérer quelque peu la qualité de sa production. Suite au Palmé The Tree of Life en 2011 et à l’actuel Merveille, il a déjà tourné trois films aujourd’hui en phase de post-production : Knight of Cups avec Christian Bale et Natalie Portman ; un projet sans titre avec Ryan Gosling et Rooney Mara ; et Voyage of Time avec Brad Pitt et Emma Thompson. Reste à savoir si ses prochaines œuvres trouveront le chemin de la lumière, comme Tree of Life avait su si bien le faire, ou si elles marqueront l’arrêt provisoire de sa créativité tel que À la merveille le laisse à penser.

Déconstruction narrative

À l’instar de Tree of Life, À la merveille est construit comme un amalgame de souvenirs et de plans impressionnistes qui tient plus de l’agrégat d’images oniriques que de la classique narration chronologique. C’est d’abord la remarquable beauté visuelle qui nous interpelle, la précision quasi millimétrique de la caméra, le filmage des corps morcelés, les prises de vue au plus près des visages, la tentation d’une vision panthéiste du monde où tous les éléments de l’environnement participent de la vitalité de l‘image. La présence elliptique du Mont-Saint-Michel – la « Merveille » du titre – est un liant entre ciel et terre, Paradis et Enfer, le marqueur d’un niveau intermédiaire où tout s’avère encore possible. Et notamment l’amour. Neil et Marina (Ben Affleck et Olga Kurylenko) visitent la Merveille comme un temple dédié à la passion, leur passion, a priori aussi solide et inébranlable que les murs du monastère posté au sommet du Mont. Entre Paris et la Normandie, entre les allées du Champ de Mars et les sables marécageux qui entourent l’édifice, le couple navigue d’un possible à l’autre, de l’éphémère d’une émotion brutale et impertinente à la robustesse d’un amour profond et sans limites. Malick filme la France à la façon des forêts de Guadalcanal (La Ligne rouge) ou de l’Amérique encore pure du Nouveau Monde, avec cette candeur poétique qui caractérise le jardin d’Éden avant la Chute.

Pour peu que l’on se laisse attirer dans ce maelstrom panthéiste, on aurait envie de chanter soi-même l’ode à la terre et à la mer. Avec ces premières minutes, Malick n’a jamais été aussi près de ce que pourrait être une adaptation extraordinaire de Conrad : une ville de Sulaco déchirée entre terre et mer, une crique huileuse qui laisse les bateaux immobiles, l’impression vague d’un conflit qui se déroulerait au loin et l’apparition mystérieuse d’un Nostromo fier et élégant, personnage transitoire dans un récit qui ne laisse aucune prise à l’espace ni au temps.

 


Des monts et merveilles

Malick parvenait à tirer toute la substance de Tree of Life d’une séquence singulière et sublime retraçant la création de l’Univers et le développement progressif de la vie terrestre. L’histoire, à taille humaine, d’une famille déchirée dans l’Amérique des années 50 s’en nourrissait ensuite avec avidité, puisant dans l’imagerie de la mémoire et dans l’expression de la mansuétude comme émotion sublime. À la merveille échoue là où Tree of Life a réussi. Dès lors que le couple est transporté aux États-Unis, dans une bourgade d’Oklahoma, et que l’insouciance de la passion laisse place aux craquements inquiets du pragmatisme, Malick nous perd dans une incontrôlable explosion de sentiments contradictoires : je t’aime, je ne t’aime plus, j’aime quelqu’un d’autre. Marina le quitte, puis revient. Entre-temps, une autre femme, amie d’enfance, sera entrée par effraction dans la vie de Neil, et rapidement exclue par un réalisateur qui semble n’avoir d’yeux que pour Olga Kurylenko. C’est peut-être par fascination pour elle, pour eux (avec Ben Affleck), que Malick a coupé au montage les scènes tournées par Rachel Weisz, Jessica Chastain, Michael Sheen, Amanda Peet et Barry Pepper. Il aurait même pu aller jusqu’à gommer la performance de Javier Bardem, dont le prêchi-prêcha religieux et humaniste confine à la lourdeur d’une Encyclique papale.

Dès lors, la méthode poético-lyrique de Malick tourne à vide. La caméra, soumise aux mouvements des comédiens plutôt que l’inverse, n’est plus porteuse de sens, mais seulement de vagues sensations. Une voix off écrasante déclame un discours sibyllin pas si éloigné des insaisissables publicités pour du parfum. Les corps, libres, explorent le champ à leur guise, avec une légèreté communicative – mais à quoi bon ? La leçon, s’il en est une à retenir, est sans doute donnée par l’amie italienne d’un instant qui force Marina à abandonner son sac à main dans un buisson pour l’obliger à se délester du superflu qui lui pèse. Mais quand le film s’avère plus pénible que sa leçon, on n’en retiendra malheureusement que le poids aux dépens de la légèreté.

Titre original : To The Wonder

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Durée : 112 mn


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