Sur cet argument minimaliste – filmer le spleen et l’oisiveté – Li Hongqi construit une série de tableaux stylisés, aux lignes savamment étudiées. L’écran large lui permet de composer des images très graphiques, où l’architecture tient un rôle primordial. Les personnages se découpent sur un fond urbain monochrome et désolé : usines désaffectées, immeubles froids et murs en briques enserrent les rares passants, laissant à peine filtrer un peu d’air. « Pourquoi le ciel est toujours vide ? » demande l’un des garçons. Si l’horizon paraît bouché, Li Hongqi ne dessine aucune ligne de fuite. Chez lui, le mouvement n’existe pas. Lorsqu’une silhouette quitte le plan, inutile de la suivre. Toujours fixe, la caméra enregistre les dérisoires allées et venues de vitelloni apathiques. Cette maîtrise du cadre pourrait tourner à vide. Mais Winter Vacation fait preuve d’une ironie grinçante, qui vient dynamiter de l’intérieur cette forme soignée. Le cinéaste se moque d’ailleurs de son propre style, lors d’une séquence où le grand-père, cruel et tyrannique, reste scotché devant un extrait (très lent) de son précédent film Routine Holiday (jamais distribué en France). Distrait par son petit-fils, le vieil homme le rabroue, comme s’il suivait un feuilleton trépidant : « Fiche-moi la paix, je suis ému, là… »

Car derrière la chronique anémiée se lit une critique indirecte d’un pays en plein désarroi. Si Li Hongqi a su contourner la censure, son propos n’en reste pas moins subversif, tant il sape le moral de ses concitoyens et ridiculise le discours officiel. A travers le conflit de générations s’observe le désir d’émancipation des jeunes contre leurs aînés : grand-père et petit-fils sont opposés par des brutaux champs-contrechamps, comme dans les duels de western. Cet affrontement demeure toutefois larvé. La fugue du petit garçon ne le mènera pas loin, et s’avère au final un rêve irréalisable. Tout conduit à la reproduction d’un même système : Laowu espère avoir un enfant « qui aura un enfant, qui aura un autre enfant » afin que le fruit de sa semence « se perpétue éternellement ». Son compère Laobao, interrogé sur son avenir, annonce avec le plus grand sérieux qu’il va « contribuer à la lutte pour construire le socialisme à la chinoise… » Prononcée par un adolescent lymphatique, avachi dans un fauteuil sous une pluie de flocons, cette prophétie ne laisse guère espérer de brillants lendemains. La dernière séquence, jubilatoire, enterre définitivement toute illusion : « How to be a useful person for society ? » écrit naïvement au tableau une professeur d’anglais. Avec un sens du montage redoutable, Li Hongqi renverse alors son axe pour observer la classe amorphe, visiblement peu concernée. Winter Vacation se clôt sur cet abattement général, tandis que retentit en contrepoint un hymne punk. Quand la Chine s’éveillera ?