
« Je ne sais pas ce que je vois »
C’est le portrait d’une femme aussi fière, indépendante et affirmée que violentée et remise en cause qui est ici filmé par Sebastian Lelio et porté par l’actrice transgenre Daniela Vega. Au deuil infligé par la mort de son amour s’ajoute le dénigrement malveillant de l’ex-femme et des membres de la famille d’Orlando, qui contraignent Marina à se séparer de l’appartement où elle vivait avec lui, comme ils lui interdisent d’assister aux funérailles de l’homme qu’elle aime, fragilisant davantage le quotidien de celle-ci, dans une société toujours précarisante. Quand je te regarde, « je ne sais pas ce que je vois » dira Sonia (Aline Küppenheim), l’ex-femme d’Orlando. A travers cette formule abjecte de négation de l’autre, Marina rejoint les individus en marge, particulièrement du fait de leur sexualité, victimes de la norme dominante et de son ignorance, qu’on a pu voir pris comme sujets plusieurs fois par une partie du cinéma latino-américain ces derniers temps. Le mois dernier, le musicien chilien devenu réalisateur Alex Anwandter faisait, avec son film Plus jamais seul, le récit, adapté d’une fait divers homophobe, de Pablo, un jeune travesti, individu également marginalisé pour sa différence sexuelle et identitaire. Au contraire du Santiago plutôt sinistre représenté dans ce long métrage, la force de l’œuvre de Sebastian Lelio est de filmer son personnage principal dans une résilience et un être au monde tout à fait lumineux, aux touches chromatiques enlevées proches des films de Pedro Almodovar, qui se déploient dans un mélange des genres plutôt réussi et donnent beaucoup de son énergie visuelle à l’oeuvre.

Esthétique de l’affirmation de soi
C’est sur les Chutes d’Iguazu, à la frontière de l’Argentine et du Brésil, que s’ouvre Une Femme fantastique, image exotique de rêve et de fraîcheur qui devait être la destination de vacances de Marina et d’Orlando, projet de couple avorté quand celui-ci meurt. Pour autant, cette image inaugurale ne quittera pas véritablement le film, ni Marina, comme accompagnant la chaleureuse luminosité de la ville, le décor chatoyant, haut en couleurs, d’un cabaret où elle se produit. Le long métrage passera tout naturellement des plans romantiques du début à des notes plus noires, au détour d’un angle de rue, de néons sombres ; instillant l’énigme, à travers un mystérieux jeu de clés dont hérite Marina, l’appartion de plans plus oniriques. Autant de pistes qui semblent davantage accompagner la trajectoire de Marina comme motifs esthétiques que comme tournants de l’intrigue. L’identité esthétique du film, qui maintient tout du long une forme de caractère solaire, irrigue ce portrait de femme dans l’affirmation continue d’elle-même (cette scène où elle saute, révoltée, sur le toit de la voiture de la famille d’Orlando), jamais exempt de plans sur le visage de Marina, comme pour se ramener davantage à son intériorité et montrer cette façon d’être qui refuse de plier. Une Femme fantastique distille une douce poésie, une agréable vibrance, celle d’une femme déterminée à rester dans « la beauté du geste », quelle que soit la violence qu’on lui oppose.