
Un oiseau qui se cogne
Des années plus tard, Thelma (Eili Harboe) a grandi et quitte son père Trond (Henrik Rafaelsen) et sa mère Unni (Ellen Dorrit Petersen), parents très dévots, pour aller faire ses études à Oslo. Elle est cet être curieux qui mobilise toute l’attention du cinéaste, concentrant la caméra, à l’image de ce zoom progressif vers elle depuis le ciel au-dessus de son université. Joachim Trier installe une mise en scène à la fois distante (des scènes d’ensemble, de recul focal) et chargée d’une tension latente, confirmée par ce plan noir sur le titre du film et sa musique menaçante, encart presque caricatural du genre horrifique. Le réalisateur organise le récit d’apprentissage de cette jeune femme qui éclot d’une nouvelle façon à la vie, à ses désirs charnels, à travers une forme de mue qui passe par du surnaturel et des déroutes psychosomatiques. Thelma, visage doux et lumineux, d’apparence tranquille, entraîne avec elle de sombres présages traduits par des symboles assez classiques : serpents qui se faufilent au sol, qui habitent les cauchemars, corbeau venant se cogner contre la vitre de la bibliothèque de l’université…Elle éprouve d’étranges crises psychogènes qui surviennent de façon récurrente et révèlent progressivement de déroutants pouvoirs. Le film se positionne alors sur deux registres : celui du genre avec les motifs surnaturels injectés dans le déroulement des crises, puis celui d’un film plus psychologisant, voire existentiel, à l’instar de ses précédents films (le mal être de la mère dans Back home – 2015 – et celui d’Anders dans Oslo, 31 août).

« L’anxiété d’un corps »
Au sujet de Thelma, Joachim Trier évoque « l’anxiété d’un corps ». Les crises qui s’emparent de celle-ci, qui ne disent pas leur nom, peuvent suggérer la somatisation due aux bouleversements émotionnels et aux tiraillements qui gagnent peu à peu la jeune femme, qui vit mal, par exemple, en raison de son éducation religieuse stricte, le fait d’éprouver des sentiments pour son amie Anja (Kaya Wilkins). Quelques belles scènes traduisent ces moments de débordement du corps, comme ce montage alterné à l’opéra, où les mains de Thelma se mettent à trembler. Pourtant, ce climat anxiogène éprouvé, traduit par le corps reste à un stade de représentation et de perception liminaire, comme faisant les frais de l’austérité de la mise en scène, de sa visualité sombre et parfois envoûtante mais sans aspérité particulière, un distingué gant de velours incompatible avec les déflagrations qui remuent l’être au monde de l’héroïne et ses particularismes les plus surnaturels. Il manque à Thelma les manifestations organiques (tel celles des oeuvres d’un David Cronenberg) à même de donner vie et sensation à son sujet, ainsi qu’à ces passionnants, complexes enchevêtrements de corps et d’âme. Non sans intérêt ni incarnation, l’oeuvre, comme lors de son ouverture, amorce cependant plus qu’elle ne tranche.