
Comme dans la plupart des récits mettant en scène un esprit schizophrène, The Voices orchestre assez grossièrement son travail sur les points de vue, à base d’oppositions platement hermétiques dès lors qu’il s’agit de délimiter la réalité de l’image faussée que s’en fait le protagoniste. Paradoxalement, c’est aussi là que le film puise son principal intérêt. On sera gré à Satrapi de ne jamais porter de jugement sur son protagoniste, et pour cause : son film épouse jusqu’au bout – et même davantage, lors d’un final totalement barré dont on taira la teneur – le point de vue de ce sympathique Jerry, dont on est progressivement convié à découvrir la folie. Le jeune homme remodèle la réalité par le biais de son esprit dérangé, parfois selon une logique de renversement total. Ainsi, son home sweet home lumineux, propre et accueillant, se révélera, en tant que produit de son regard déviant, n’être en réalité qu’un horrible taudis, jonché de détritus et gagné par la pourriture. Ce n’est qu’après avoir pris son traitement médical, cloîtré entre ces quatre murs, que le personnage aura son seul moment de lucidité. Or, à cette alternative dans l’antre de Jerry (la découverte de la réalité cauchermardesque du lieu opposée à sa vision subjective idéalisée) ne répond que l’unilatéralité de son point de vue halluciné dans le monde extérieur, Jerry ne se retrouvant jamais hors de chez lui dans un état normal. Ainsi, le film laisse sur une interrogation diffuse mais persistante : à quoi peut bien ressembler le monde extérieur soustrait de ce regard malade qui gouverne le récit ?