Le « poursuivant » du titre du film sappelle Joong-ho, ancien flic devenu proxénète, qui va tenter par tous les moyens de sauver une de ses prostituées, Mi-jin, malencontreusement envoyée dans les griffes dun serial killer par sa faute. Commence alors sa traque obstinée envers et contre tous pour délivrer la jeune femme, et se racheter une morale. Joong-ho est comme dans les films noir le parfait anti-héro, individu exclut du système, que la détermination et la culpabilité d’un Marlowe en jeans vont emporter dans une course jusquau bout de la folie. Tous les personnages principaux sont aussi des stéréotypes du genre: la prostituée victime d’un sadique, l’enfant qui éveille le besoin de rédemption chez Joong-ho, et enfin le gentil acolyte ahuri, seul allié de lancien flic.
Laction se concentre sur 24 heures, dans les méandres des rues de Séoul, le temps d’une nuit encore plus assombrie par la pluie torrentielle et du jour suivant. Le rythme est effréné, la mise en scène quelque peu tapageuse, mais le tout est hautement sympathique, tant le plaisir chez Na Hong-Jin de nous raconter son histoire est communicatif pour peu quon attende que le jeune réalisateur dévoile ses autres atouts. Lhumour du film par exemple, porté en partie par le héros, bougon et colérique, dont lirrespect du protocole le conduit à se confronter à une administration policière déjà largement tournée en ridicule.
Le scénario fait la part belle aux rebondissements, réactivant laction entre des scènes franchement drôles et laisse exister des personnages assez atypiques là où on ne les attend pas : le tueur est lui une sorte de guignol, trop jeune et trop peu introspectif pour être un sérial killer « sérieux», il se fait dailleurs bêtement coincé au début dès louverture du film lors dune scène de voitures emboutées assez réjouissante.



Des touches dhumours et de moquerie pour la société coréenne, sa police et ses politiques empreignant lensemble du film, et mettent parfois le sérieux de la trame policière à distance, mais sans jamais décrédibiliser lambition première du réalisateur de faire un polar. Un citoyen en colère attaque par exemple le maire de Séoul en lui lançant un étron au visage. Pendant son interpellation, il ne cesse de vociférer à qui veut l’entendre que « l’histoire lui rendra raison». Ce personnage incarne à merveille cette clownerie du fait politique, qui rappelle comme dans The Presidents Last Bang (Im Sang-soo) combien lhistoire en marche, si tragique soit-elle, peut être tournée en dérision. La fiction, même sous les traits du polar ou du thriller historique contient toujours en elle quelques éléments chevillés au réel dans le jeune cinéma coréen, transfigurés sous couvert de l’humour, du grotesque, de l’excès, de l’étirement fictionnel, mais imprégnant le récit.
Autre exemple, moins comique celui-là, la récurrence du déterrement, du dé-enfouissement des corps à quelques chose de troublant, puisque les policiers s’acharnent littéralement sur la terre d’un parc, persuadés de découvrir les cadavres des précédentes victimes du tueur. Plutôt que de partir à la recherche de Mi-jin, peut-être encore vivante, la recherche des preuves enfouies, des restes tangibles du serial killer semble hautement plus importante. Une scène similaire ouvrait Une femme coréenne (Im Sang-soo) et cette obsession pour la recherche de la vérité, celle cachée ou dissimulée par le temps et les méfaits politiques résonne également dans The Chaser.
On peut se demander si lhistoire récente de la Corée du sud, encore dernièrement troublée par une nouvelle affaire de tueur en série, (un cas identique datant des années 80 avait inspiré Joon-ho Bong pour réaliser Memories of murder en 2004), ne vient pas nourrir sans cesse un jeune cinéma en prise avec les chancellements de sa société. Na Hong-Jin est de ce cinéma, assez adroit pour faire résonner le réel dans la fiction la plus divertissante et la plus percutante qui soit.
Mais encore :
– Lire l’entretien avec Antoine Coppola, spécialiste du cinéma coréen