
Force d’inertie
Au moyen d’une mise en scène limpide, d’une économie de moyens qui permet d’aller à l’essentiel, Marine Place donne une identité à son film : des petits bateaux suspendus dans l’église où Julie s’entraîne au saxophone avec le prêtre de l’île, les statuettes de Sainte Rita que sa mère Louison (Corinne Masiero) conserve dans la maison familiale, comme un paradoxe ironique au caractère résistant et bien trempé de celle-ci ; le restaurant du centre qui accepte encore quelques araignées de mer ramenées par Julie, tout un ensemble de détails assemblant l’œuvre. Un rythme de plans qui soutient une force d’inertie perceptible : celle de cet univers totalement conditionné par la mer et ses flux, ses marées, sa force de submersion, parfois à l’arrêt. Le déclin de l’activité de pêcheur de son père entraîne Julie dans une dépression progressive mais réelle, qui s’accroche à son saxophone, comme on tente de se maintenir la tête hors de l’eau, au son de la musique chagrinée d’Emile Parisien. Le long métrage menacerait de s’enfoncer dans un tableau social mortifère sans porte de sortie s’il ne tirait pas sa source ailleurs, de son « sentiment de mer » qui envahit tout, jouant de la métaphore comme de la sensation la plus littérale livrée par la puissance d’un élément.

Mer étale
Marine Place a pu dire au sujet de ses interprètes : « Les comédiens ont su donner des corps maritimes à leur personnage. » Des « corps maritimes » qui enserrent toute l’œuvre, investissement l’image : les hallucinations de Julie qui voit des masses d’eau envahir sa chambre, des rouleaux de mer immergeant les lieux où elle se trouve, cette mélancolie si particulière que peuvent stimuler les mouvements de marée, des ciels bretons changeants, des sensations ressenties selon la météorologie ambiante, jusqu’à la mystérieuse tragédie de la dernière partie du film qui sonne elle aussi, comme une fatalité. Un virage narratif qui peut laisser sceptique, d’un pur accablement ; un sort qui n’est pas sans rappelé celui, plus matériel, qui lancait le film : l’abandon du bateau de Loïc. L’issue de l’oeuvre se soldera par une sortie d’eau, un retour vers le continent, une échappée contraire à l’infortune qui planait sur l’oeuvre jusqu’alors et dans un mouvement bienvenu qui donne tout son sens à son titre : Souffler plus fort que la mer.