
A travers le potentiel amoureux, Dalibor Matanic use sans doute du plus fort pouvoir de résistance et de guérison. Avec grande intelligence, ce n’est pas six acteurs différents qu’il emploie pour jouer les trois couples respectifs mais deux acteurs. Les impressionnants Goran Markovic et Tihanna Lazovic endossent à la suite les trois personnages, à chaque fois distincts mais imprégnés de l’ombre de leur personnage précédent ou de celui à venir. C’est le même couple auquel le cinéaste propose trois chances, une pour chaque décennie, au mépris du contexte. Ce réemploi redonne une chance au couple, comme il l’explique, et cherche à endiguer le mal furieux de la guerre, tournant, se répétant désespérément, comme une toupie. L’emploi des mêmes acteurs s’accompagne d’une répétition d’éléments visuels disséminés dans chacun des récits : le jeune Ivan de la première histoire réapparait dans la dernière, de même que le frère de Jelena se retrouve sur une photographie dans la seconde histoire. Ou encore, un berger allemand traverse les trois décennies, accompagne le décor de chacun en des lieux différents. Ce retour de détails, assez glaçant, raccorde historiquement les récits individuels. Ils sont tout autant les restes traumatiques, mémoriels, que des inserts visuels qui ne demandent qu’à être gommés et remplacés par d’autres. Tourné en Dalmatie, la région littorale de la Croatie et du Monténégro qui comprenait l’Herzégovine et la Bosnie, le paysage porte les scories de la guerre. C’est sous des couleurs chaudes, sèches, orangées, de « villages brûlés par le soleil » que le cinéaste ancre ce cercle infernal qui ne demande qu’à être déjoué par des occasions de « rejouer » par les individus. Le soleil de plomb, qui donne son nom au titre, a cette pesanteur qui tiraille entre une torpeur abattante et une nervosité qui fait sortir de ses gonds. C’est la puissance exsangue mais sentimentale du film qui cherche à faire de cette dernière sensation du soleil de plomb, autre chose qu’un énième nid de haine et de cendres.