La première partie du film est formidable de justesse. Le ton est donné dès la séquence d’introduction, douce et pleine de lyrisme. Le récit s’ancre ensuite dans une réalité sociale et économique dépeinte avec beaucoup de réalisme. Dans la petite ville portuaire du capitaine Kang, le quotidien doit probablement être rude. On fait la rencontre des différents membres de l’équipage, on découvre leurs petits vices, sous un angle humoristique… pour l’instant. Le film prend son temps, et ce n’est pas plus mal.
Le récit s’accélère quelque peu une fois la transaction acceptée par le capitaine Kang. Puis la traversée vire au drame, c’était attendu. Les portraits continuent à défiler et c’est toute l’âme humaine qui est mise à nue. Difficile de ne pas penser aux plus grands films de Kurosawa, maître inspecteur de la grandeur et de la misère humaine. Comme chez Kurosawa, le pessimisme ici l’emportera progressivement. L’homme se révèle quand il se retrouve face à lui-même, c’est une évidence que Kurosawa parvenait à magnifier. Dans Sea Fog, c’est la mort à grande masse qui déclenche tous les vices. Ceux-ci détruiront les relations, et feront planer une menace constante sur la destinée de chaque personnage. Face à la cupidité, l’envie, la jalousie, il ne semble pas y avoir de place pour les actes nobles. Et pourtant… Comme chez Kurosawa, s’élèvent quelques figures pures, comme pour nous rappeler que l’humanité peut continuer à briller.

Un bien beau message, mais qui n’est pas suffisamment exploité dans Sea Fog. En fait, le récit tourne au thriller dans toute la dernière partie du film. Les images choc se succèdent au cours de séquences destinées à faire monter le suspense et l’adrénaline. La psychologie des personnages est complétement délaissée, sacrifiée sur l’autel des émotions fortes. Si la première partie du film, posée et plutôt descriptive, était réussie, le final est raté. Toute la dimension symbolique des personnages périclite sous l’enchaînement de retournements invraisemblables. Les situations virent au grotesque, les incohérences scénaristiques empêchent toute mise sous tension du récit. Jusqu’au dénouement parfaitement sans surprise, happy end artificiel et sans émotion.
Dommage donc, et un peu décevant pour ce premier film de Sung Bo-Shim, le scénariste du très remarqué Memories of Murder. Les grandes réussites sud-coréennes des années 90 et 2000 ont ouvert la porte à un cinéma spectaculaire, bouillonnant, excessif. Mais parfois, on aimerait qu’il en fasse un peu moins.