Le précédent film de Nabil Ayouch, Much loved (2015), saisissait par son pouvoir d’incarnation, en suivant le quotidien d’un groupe de prostituées marocaines et leur combat irréfragable pour résister à l’assignation de soumission que leur confère la société patriarcale de leur pays. Filmer le sexe, ses transactions, ses abus, ses plaisirs, dans une mise en scène frontale, permettait de toucher à l’aliénation sociale et individuelle, au refoulement explosif qui contenait la vie des femmes et des hommes filmés. Le film en payant d’ailleurs ses conséquences, puisqu’il fuit interdit au Maroc et accueilli de manière très violente, son actrice principale, Loubna Abidar, payera physiquement le prix de son rôle, se faisant agresser à Casablanca. Son nouveau long métrage, Razzia, affiche la même volonté politique, courageuse, de mettre un doigt inquisiteur sur les plaies gonflées d’une société marocaine réprimante et schizophrénique. Pour cela, il développe un film choral sur une trentaine d’années, partant des années 80 dans les montagnes du Haut-Atlas, suivant un instituteur laïc, Abdellah (Amine Ennaji), se cognant aux interdits pour rendre libres ses élèves ; jusqu’à la Casablanca d’aujourd’hui, et aux émeutes qui se levèrent dans la ville en 2015. On suit une galerie de personnages : Akim (Abdelilah Rachid), jeune homosexuel en révolte, Joe (Ariel Worthalter) restaurateur juif marocain qui cherche l’âme sœur, Salima (Maryam Touzani) femme qui peine de jour en jour à supporter la misogynie « bienveillante » de son compagnon, ou encore l’adolescente Inès (Dounia Binebine), qui se cherche, livrée à elle-même dans une cage dorée.

Plans cartels
On pressent à travers ce kaléidoscope et les problématiques de chacun des personnages que, comme dans Much Loved, le poids qui pèse sur les individus mis en scène revient à un empoisonnement des rapports hommes femmes, à l’emprise de l’un sur l’autre comme déterminant, aux interdits intimes, sexuels, qui menacent l’identité de chacun(e). Le problème du film est de rester très liminaire face à la potentielle richesse qui dote tous ses personnages et à sa matière politique. On assiste à une série de « plans cartels », où le passage d’un plan à un autre ne semble livrer qu’une information symbolique, peu approfondie, voire surlignée par la présence d’un pathos musical parfois appuyé : résumer l’homosexualité d’Akim à travers sa passion pour Steve Mercury, synthétiser l’insolence avide d’indépendance et de liberté de Salima à travers une mini-jupe qu’elle remonte encore davantage…Les plans, coupés trop vite, succincts, empêchent de s’arrêter avec précision sur la violence sourde qui irrigue pourtant la vie des personnages.
