L’animation américaine : la guerre du poil a eu lieu
Quel souvenir nous laisse l’animation américaine des années 00 ? Certainement l’affrontement continuel des deux géants D : Disney et Dreamworks, les deux plus gros studios de production animée au monde ; mais aussi des incroyables progrès techniques de l’animation en images de synthèse et du lent mais sûr recul de l’animation traditionnelle.
Agée de seulement quinze ans, la compagnie de Steven Spielberg a su en quelques années se hisser régulièrement aux premières places du box-office des films d’animation, et du box-office général, et ébranler la légendaire hégémonie de la firme Disney, la forçant à un renouvellement et une diversification inattendus. Dreamworks a su proposer, et vendre, au public une animation modernisée, au ton radicalement différent de celui de sa concurrente. Si l’animation est un genre familial, il l’a longtemps été dans le sens d’un accompagnement des enfants par les parents. Le film lui-même étant principalement destiné aux enfants. Dreamworks a véritablement réussi à élargir l’audience potentielle de ses films. Que ce soit pour la série des Shrek depuis 2001 (dont le quatrième tome sort en 2010), celle des Madagascar (depuis 2004) ou encore Kung-fu Panda (2008), pour ne citer que leurs plus importants succès, le film et son scénario peuvent être appréciés selon différents niveaux de lecture selon les tranches d’âges. Dans l’ensemble, le scénario est adapté aux plus jeunes, l’humour des dialogues est dirigé vers les ados et pré-ados, tandis que l’on contente les adultes par des références perceptibles essentiellement par eux. Références d’ordre publicitaire, télévisuelle et cinématographique. Ainsi, la plupart des films Dreamworks recèlent de parodies de scènes populaires et rejouent les grands moments des genres du cinéma. On ne compte plus les plans citant l’arrivée des Sept Mercenaires (J. Sturges, 1960) ou la balle de revolver filant mais interceptée par les deux doigts du héros (Matrix, A. et L Wachowski, 1999). Autre élément d’accroche : le doublage fait par les stars à la mode. Dreamworks était pionnière du genre dès Fourmiz (1998). Rien que pour Shrek, Mike Myers, Eddie Murphy, Antonio Banderas et Cameron Diaz se bousculent au portillon. Le phénomène s’est depuis propagé dans les pays étrangers où le doublage dans la langue du pays est assuré par des stars locales.


Si l’animation Dreamworks est de qualité, elle est largement surpassée par le travail exceptionnel de Pixar au sein de Disney. Sûr de ses capacités, Pixar n’a pas hésité à changer systématiquement d’univers à chaque nouvelle production perfectionnant sans cesse la technique et offrant des films de grande qualité. On se souvient des poils vibrants de Sullivan, le héros de Monstres & cie (qui ferait presque oublier l’extraordinaire variété des effets des autres personnages et décors), les magnifiques fonds marins du Monde de Nemo, le Grand Ouest américain de Cars (2006), le rendu des textures de Ratatouille (2007) et l’éblouissement devant la terre/décharge de Wall-E (2008). Fort de sa supériorité technique, Pixar a aussi démontré une inventivité du scénario. Si l’on peut noter une légère baisse de qualité scénaristique depuis Cars (Wall-E mis à part), le studio a su développer ce qui doit compter parmi les plus belles productions Disney. Les Indestructibles peut même être considéré comme l’un des plus beaux films de ces dernières années. Tant par ses qualités techniques (rendu des pouvoirs des personnages, beautés des paysages et de l’architecture), que par la richesse de son scénario (questionnement sur le super héros à l’heure de la frénésie des adaptations de comics, rôle de la presse sur la transmission de l’information…) et de sa réalisation, le film marque véritablement un pas dans l’animation. Le spectacle Pixar est lui aussi familial, mais davantage dans la tradition des classiques Disney. Si leurs films rassemblent largement la famille, c’est réellement par ses qualités techniques et scénaristiques, plutôt que par un cinéma référencé ou un humour qui « pète et qui rote » propre à Dreamworks.


Hors des deux géants D, que se passe-t-il ? Il existe d’autres propositions, mais elles sont peu nombreuses. Il est évidemment difficile pour les autres studios de faire face à la puissance commerciale des deux D. La série L’Âge de glace a réussi en trois tomes à conquérir un large public depuis 2001. Se situant à la rencontre des deux studios, entre spectacle familial et redynamisation du genre, la qualité de l’animation n’est pas des plus enthousiasmantes. Les studios Aardman ont été plébiscités pour trois films durant la décennie : les magnifiques Chicken Run (2000) et Wallace et Gromit, le mystère du lapin garou (2005), animation en pâte à modeler, et l’affligeant Souris City en images de synthèse en 2006. Leur accord de partenariat exclusif conclu avec Dreamworks a pris fin en 2007, date à laquelle Aardman a rejoint Sony pour trois ans. Poursuivant une oeuvre originale et prolongeant son travail de réalisateur, Tim Burton a aussi produit plusieurs films d’animation durant la décennie. Des Noces funèbres (co-réalisé avec M. Johnson, 2005) et Numéro 9 (S. Acker, 2009), l’univers poétique et macabre de Burton infiltre ces dessins animés. S’ils sont de qualité, il faut tout de même avouer que l’effet de surprise ressenti face à L’Etrange Noël de Monsieur Jack (H. Selick, 1993) est désormais absent. On se retrouve en terrain connu et, au même titre que les grands studios, ce sont les mêmes recettes pour les mêmes effets qui sont reproduits de films en films. Notons tout de même le très réussi Coraline (H. Selick, 2009) qui tant par son scénario que par sa beauté visuelle a su enchanter le public.

La poésie Aardman : Wallace et Gromit, le mystère du lapin garou
Hayao Miyazaki. A travers le miroir ou face à lui ?
En 2002, une petite fille pleurnicheuse devient grande devant près d’un million et demi de spectateurs français. L’aventure qu’elle va vivre, gamins et adultes y sont conviés. Les uns s’émerveillant face à une grenouille bien bavarde, devant toutes les promesses d’un monde magnifique et terrifiant. Les autres, plus encore que de retrouver leurs yeux de gosses, redeviendront enfants pendant les deux heures du film. Tout y est si grand, si démesuré, que l’âge importe peu : comme Chihiro, tout le monde lève la tête pour ne pas rater une miette de son voyage. Si Miyazaki n’était pas un inconnu lors de la sortie en salle du Voyage de Chihiro, ce film est sans doute sa plus grande réussite, celui avec lequel il va enfin se faire un nom hors des frontières japonaises et des cercles fermés occidentaux. Sa très bonne réception en salle verra toutes les années 2000 durant, réexploitation (Mon voisin Totoro en 2002), redécouvertes (Le Château dans le ciel en 2003, Kiki la petite sorcière en 2004, Nausicaä de la vallée du vent en 2006) et présentations de nouvelles oeuvres (Le Château ambulant en 2005 et Ponyo sur la falaise en 2009). L’épique Princesse Mononoke nous étant arrivé pendant l’année 2000, pas moins de huit films de Miyazaki ont investi les salles obscures françaises ces dix dernières années. Si l’indigestion était à portée de rétine, appuyée par un merchandising bien huilé, ces années rendirent plus cohérente encore l’oeuvre du réalisateur.


Le cinéma d’animation français : années 2000, années poétiques ?
Première sur le marché européen et troisième sur la scène mondiale, la France s’est imposée depuis la fin des années 1990 comme l’un des acteurs majeurs du genre animé. Si l’habileté de ses animateurs et la qualité de ses studios est reconnue jusqu’aux Etats-Unis – Dreamworks et Pixar n’hésitent pas à débaucher les talents des Gobelins, de Folimage ou du Pôle Image d’Angoulême – c’est sans doute sur un autre plan que se distingue l’animation à la française.
La chute de Disney (dont la part de marché est passée de 95% à 55% entre 1995 et 2005) a permis aux canons caricaturaux qui avaient cours jusque-là de voler en éclats, favorisant ainsi l’émergence d’une concurrence saine et source d’émulation. En 1998, le succès commercial de Kirikou et la sorcière, du magicien Michel Ocelot, a donné suffisamment confiance aux producteurs pour lancer le développement de nombreux projets originaux.
Longtemps mésestimée, l’animation a su se diversifier, tant dans la technique (silhouettes découpées, images de synthèse, motion capture, etc.) et le registre (comique, fantastique, politique, dramatique) que dans les thèmes abordés et les prises de position beaucoup plus affirmées, conquérant ainsi de nouvelles catégories de spectateurs, qu’il s’agisse – en schématisant – des petits et tout-petits (U, T’choupi, Azur et Asmar), des adultes (Les Triplettes de Belleville, Peur(s) du noir, Persepolis) ou des jeunes (Lascars).
Ce pari d’un public plus ciblé et d’univers graphiques très forts et poétiques est sans doute ce qui a permis à l’animation française de s’illustrer, et ce dès les années 1970/1980 (on pense notamment au très beau Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault).


Peur(s) du noir – 2008 et Lascars, pas de vacances pour les vrais gars – 2009
L’avenir de l’animé devra sans aucun doute compter avec la richesse et la diversité de l’animation française mais cette nouvelle décennie ne sera certainement pas exempte de défis (course à l’innovation technique, formatage des sujets et des modes de narration, apparition de nouveaux concurrents).
Et les amateurs du genre ne sont pas sans savoir que les artistes français ont de talentueux homologues un peu partout dans le monde au-delà même des Etats-Unis ou du Japon. L’Australie a notamment bien retenu les leçons du studio Aardman, son esthétique “pâte à modeler” et sa technique du stop motion, en proposant en 2009 l’ambitieux et touchant Mary and Max et l’existentialiste Le Sens de la vie pour $9,99, en coproduction avec Israël, d’où vint en 2008 le magnifique Valse avec Bachir, un film qui osait questionner les relations entre fiction et réalité et l’ambition cathartique du récit.



Les Triplettes de Belleville – 2002 Persépolis – 2007 U – 2005
– Fantastic Mr Fox, sortie le 17/02/10 : quand Wes Anderson se met à faire parler des animaux…
– Le Chat du Rabbin, sortie le 16/06/10 : la transposition très attendue de la BD best-seller
– Toy Story 3, sortie le 14/07/10 : la suite très attendue des aventures de Woody et Buzz l’éclair
– L’Illusionniste, sortie 1er semestre 2010 : Sylvain Chomet met en scène un scénario original de Jacques Tati
– The Futurological Congress : Ari Folman adapte une nouvelle SF de Stanislaw Lem
– Le Magicien d’Oz : une adaptation ambitieuse signée John Boorman
– Pirates ! : une histoire de pirates, de Charles Darwin et de chimpanzé et le retour du studio Aardman sur les écrans
– Arrietty borrows everything : le prochain poème d’Hayao Miyazaki
– La Nuit des enfants rois : cette adaptation du roman très sombre de Bernard Lenteric utilise une nouvelle technique d’animation, rendant les expressions faciales beaucoup plus réalistes
– Un Monstre à Paris : après s’être chargé de Gang de requins, le français Eric Bergeron est de retour au bercail pour une histoire mêlant fantastique et comédie