Que viva Eisenstein ! n’enregistre finalement rien d’autre que l’événement d’une découverte de soi qui passe par l’expérience du corps. A ce titre, cette véridique escapade mexicaine d’Eisenstein sur laquelle choisit de se recentrer le récit apparaît très rapidement comme la métaphore à peine voilée d’une vie toute entière. Le cinéaste russe arrive dans cette ville du Mexique comme il arriverait au monde, vierge de toute expérience comparable, avant que son départ contraint au bout d’une poignée de jours ne sonne le glas de cette parenthèse enchantée. Entre-temps, c’est une plongée dans une culture diamétralement opposée à la sienne qui l’invite à une fulgurante initiation des sens dont sa personne ressortira à jamais changé. Dans un lieu où la mort n’est pas moins célébrée que la vie, où chaque coin de rue exhale tour à tour le parfum de chairs parfumées et putréfiées, Eisenstein se retrouve submergé de sensations contradictoires, puissantes, exacerbées, en prise directe sur un sentiment de vivre élevé au rang d’absolu. C’est en étant ainsi confronté à la nature profonde de la mort qu’il affirme sa puissance de vie et se forge son identité pleine et entière, en assumant notamment son appétence pour la gente masculine. Dès lors, visiter le musée des morts de Guanajuato ou faire l’amour dans un somptueux palais participe d’une même logique d’accomplissement intérieur, de soif insatiable envers ce qui advient et ne saurait durer.

Pour donner forme à cette truculence inhérente au personnage, à ce torrent de sensations qui le submergent, Peter Greenaway opte pour une esthétique baroque, outrée, emplie de trouvailles visuelles plus ou moins inspirées, mais toujours audacieuses – revendiquant une vision truculente, carnavalesque de la vie. On regrettera pourtant cette propension à l’exercice de style distancié et pas exempt d’une certaine froideur, dont les images peinent à faire surgir l’émotion sous une masse d’effets de style parfois factices. De ce trop-plein formaliste, auquel s’ajoute une forme d’immobilisme narratif, résulte un récit qui tend à s’épuiser sur la durée, échouant en conséquence à incarner cette énergie dévorante et jamais rassasiée qui habite Eisenstein. Dans ce déluge d’images toutes plus sophistiquées les unes que les autres, trop rares sont les occasions d’un véritable émerveillement, d’une réelle implication du spectateur, qui ne demande pourtant qu’à ressentir un peu de la fièvre animant le personnage. Quant à la structure narrative, très lâche et sinueuse, elle n’évite pas à certains moments le côté patchwork un brin démonstratif (une conversation estampillée « philosophique » entre Eisenstein et son amant dans un cimetière, des énumérations biographiques un peu complaisantes dans leur manière d’étaler les informations comme la première encyclopédie venue). On retiendra quand même quelques très belles idées de cinéma, comme ces deux séquences – des cadavres dans un musée, deux amants sur le rebord d’un lit – qui se font écho par la seule qualité de leur éclairage, toute en lumière et ombre mouvante, révélant par là même les connexions souterraines qui unissent la mort à la chair désirante, la putrescence à la matière encore palpitante.