Prosper

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Black Velvet : Le diable est dans les coutures.

Le scénario de Prosper débute avec l’assassinat d’un Noir à la sortie d’une boîte de nuit, comme dans Sailor & Lula, et enchaîne avec la chute d’un homme dans une crevasse surnaturelle, victime qui se réveille dans le corps et le visage d’un autre, comme dans Lost Highway. Se concentrant sur un chauffeur de VTC, le long-métrage s’articule beaucoup à travers de scènes qui se déroulent dans l’habitacle de voitures (une 308 ou une Mercedes) et au bord de la route, comme dans Mulholland Drive — Et le film, enfin et surtout, parle de souliers magiques, comme le fait la référence ultime de nombreux cinéastes Étatsuniens, Le Magicien d’Oz. En d’autres termes, Prosper, c’est plus ou moins un film Lynchien, qui troque l’Americana dorée, adorée et révisée du défunt maître, contre un imaginaire de communautés parisiennes d’immigrés (Barbès et Château Rouge) dans lesquelles renaît l’histoire politique et occulte de pays d’origine (ici, le Congo, la sape et tout ce qu’elle implique). Ce n’est pas inapproprié : les dédoublements d’identité, les enfoncements aux tréfonds de ses propres souvenirs et fantasmes, si chers à Lynch, peuvent tout à fait trouver des échos chez les minorités qui grandissent en France, pris à parti entre une éducation nationale et un passif qui hante l’Hexagone (quelle iconographie, quels éléments de langage, quels courants artistiques doit l’empire à ses anciennes colonies ?). En jouant le rôle-principal du film, et en le co-produisant, Jean-Pascal Zadi prolonge donc une démarche Lynchienne dont on pourrait dire, sans trop d’ironie, qu’elle a été lancée dans la comédie française par un de ses collaborateurs réguliers, Éric Judor. (Une de mes camarades de promo m’avait suggéré, en master, que la série Platane était peut-être la réponse de notre pays à Twin Peaks, affublée qu’elle était d’une troisième saison tardive qui parlait d’incarnation et de réincarnation, et jouait à fond la carte du numérique contre l’argentique de ses grandes sœurs).

Dans Prosper, la Loge Noire/le Club Silencio s’appelle l’Inferno, c’est la boîte aux murs écarlates que King (Makita Samba, la révélation masculine des Olympiades) envisage de racheter pour sa compagne Anissa (Cindy Bruna), et qu’il voudrait remplir des silhouettes bariolées des membres de sa communauté. Le restaurant Winkie’s, c’est l’enseigne de tailleur de Mbilla (Denis Mpunga, très touchant), dans lequel a lieu, non pas par la narration d’un rêve, mais par post-its, vidéos et miroirs interposés, le resurgissement de l’inconscient. Pour qui sait la voir, l’inspiration de Prosper est donc bornée par ces comparaisons aux grands films qu’elle rappelle, elle est majorée ou minorée par ceux-ci. Le premier indice quant au fait que Prosper va être, au mieux, un film médiocre, est, par conséquent, le fait que ces descendances cassent plutôt qu’elles ne passent, l’étalonnage de l’Inferno étant boueux et muselé là où il devrait être vibrant et riche, abimé sous les lumières du chef-op Thomas Brémond ; la musique du long-métrage, répétitive et ponctuelle là où elle devait être gracile et sinueuse. John Kaced (également compositeur sur Vincent doit mourir) n’est pas Angelo Badalamenti !

« Quand on voit passer le grand Prosper… sur la place Pigalle. »

Racontant l’histoire de la résurrection de King, abattu froidement dans le dos, à travers le corps de Prosper (Zadi), le Uber qu’il avait appelé, et qui lui a volé ses bottines en croco, Prosper aurait pu être un rappel à la fois drôle et saisissant du fait que « l’Afrique fantôme » (pour reprendre le titre du livre du surréaliste Michel Leiris) possède encore l’Europe. À cause de l’héritage instable de la colonisation, les différents pays du continent africain ont souvent dû poursuivre et renégocier des moments-clés de leur histoire ailleurs que dans les espaces et dans les temps où ils auraient dû se dérouler (la SAPE, Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes, a ainsi été bannie de son berceau congolais dans les années 70 et 80). Et cette prémisse high-concept, sur un homme enquêtant sur sa propre mort, aurait pu être un rappel très fort de ce cauchemar existentiel nébuleux.

Hélas, mal-rythmé et pas effrayant pour un sou, même pas pour une seconde, même pas pour de faux, Prosper nous prouve qu’on attend, encore, en France, notre propre Donald Glover, un artiste génial apte à mélanger les formes du surréalisme et de la fiction de genre avec les sentiments et les perceptions des communautés afro-descendantes.

« Avec son beau p’tit chapeau vert… Et sa martingale. »

Pour peu, Prosper aurait presque un désagréable faux-air d’auto-exploitation, tel qu’il substitue les esprits blancs s’appropriant les corps noirs de Get Out contre des esprits noirs s’appropriant des corps noirs. (Il est donc moins subversif que Incontrôlable, comédie où la voix noire de Med Hondo/Eddy Murphy parasite le corps blanc de Michaël Youn). Le long-métrage de Yohann Gloaguenn ne ressemble pas à du Jordan Peele, plutôt au Robert Guédiguian de Twist à Bamako. (À un moment du récit, Prosper, ivoirien, révèle qu’il prenait les mafieux congolais de King pour des maliens. C’est ce que fait peut-être Gloaguenn lui-même, semblant, comme Guédiguian, s’inspirer du travail du photographe malien Malick Sidibé pour les costumes et les décors, mais pas pour la mise en scène).

Il y a des scènes rigolotes dans Prosper, notamment celles de dialogue de sourds entre Aristote (Ralph Amoussou) et Trésor (Jean-Claude Muaka, poto de Zadi dans En place). Mais celles-ci ne durent pas longtemps, elles pourraient être enfermées dans des formats courts en ligne à la Bloqués ou à la En passant pécho. En dehors de ces moments d’impro assez sympathiques où des comédiens rompus à l’exercice du stand-up (dont Zadi lui-même) s’amusent un peu, Prosper est poussif et oubliable, et faiblard, et complaisant. Est-ce tout à fait juste de le comparer à Lynch ? Oui, dans la mesure où il est moins drôle que Blue Velvet.

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Durée : 97 mn


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