Pornomelancolia

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De l’usine au porno, tout n’est qu’affaire de solitude et de mélancolie.

La chair est triste hélas

Si l’on cherchait une illustration pour le célèbre cri, non pas celui de Stéphane Mallarmé, mais d’Ovidie, actrice porno, qui en fait le titre de son dernier livre paru en mars 2023 aux éditions Julliard : La chair est triste hélas, on la trouverait dans ce film. Oui, elle est très triste cette chair exhibée dans les films pornographiques gays, ou plutôt elle rend triste le modèle qui se dénude sous les sunlights pour quelques pesos, pour être vus, pour faire jouir ceux qui, dans l’obscurité de leur chambre ou d’un sex-shop, les admireront avec un brin de mépris et peut-être de honte. Mais peut-être que le sujet de ce film ne réside pas dans cette exhibition obscène dûment acceptée et négociée. Quand il ne travaille pas à l’usine, Lalo est un sex-influenceur mexicain qui se met en scène nu pour ses milliers de followers. Suite à un casting, il devient acteur porno en jouant dans un film sur la révolution, Pornozapata. Mais, dans la réalité, Lalo semble vivre avec une mélancolie constante. Le sujet du film serait donc la mélancolie et on le comprendra mieux lorsqu’on saura que Manuel Abramovich, né en Argentine en 1987, est un réalisateur, artiste et directeur de la photographie. Son œuvre explore les différentes manières de mettre en scène l’intimité.

 

Être un personnage

Dans ses films, des personnes ordinaires deviennent des personnages. Et c’est le cas ici de Lalo qui joue presque son propre rôle puisqu’il est, dans ce film méta méta tout comme dans la « vraie » vie, un acteur pornographique mais surtout un modèle qui se met en scène sur les réseaux sociaux. Pour son septième film, entre documentaires courts et longs, dont un film sur les soldats (Soldado, 2017) et un autre sur des prostitués travestis roumains à Berlin (Blue Boy, 2019), le réalisateur continue d’explorer la vie comme la scène d’un théâtre ainsi que l’avait bien prophétisé Shakespeare. Et il faut dire qu’actuellement, dans le monde virtuel qui s’est accéléré depuis les confinements dus au Covid, nous semblons vivre tous comme des pantins de nous-mêmes avec nos selfies, nos avatars, notre mythomanie et surtout, surtout notre profonde solitude. Cette solitude du personnage Lalo à la fois réel et virtuel, elle ressort encore mieux dans la structure même de ce dernier opus qui est un film méta puisqu’il est tourné pendant le tournage d’un film pornographique qui raconte de façon obscène et crue le vie du héros local Emiliano Zapata, tandis que Lalo est lui-même épié tout au long de ses prestations et conversations sur Internet à l’insu de son plein gré grâce à une application. Certaines images sont difficiles à regarder même si tout érotisme a été gommé comme pour ne laisser paraître que la chair exhibée dans ce qu’elle a de plus intime en même temps que cette « ultra-moderne solitude ».

Ô Solitude

Oui, c’est Ô Solitude de Purcell qu’on devrait entendre tout au long de ce film dans les yeux et les poses de Lalo qui ne s’ennuie même pas, qui attend seulement que la vie commence. C’est certes une observation du milieu de la pornographie et des influenceurs virtuels, mais c’est surtout un film puissant sur la condition des travailleurs. En effet, au début, on voit Lalo à l’usine avec ses collègues puis, après son casting, sur le plateau d’un film porno. Quelle différence y a-t-il entre ces deux emplois ? semble se demander in petto le réalisateur. La réponse est sans doute écrite sur le visage impavide et émouvant de l’acteur malgré lui : « Le visage et le regard de Lalo ont une grande importance dans le film, déclare le réalisateur dans le dossier de presse du film. J’aime observer tout ce qu’un visage peut exprimer. A travers le visage de Lalo, on a accès à son monde intérieur et à ses émotions, qui sont parfois un peu détachées de son corps et de son sexe. Le regard à la fin du film est un regard complice, adressé au spectateur. » La seule chose qui signe l’humanité en lui.

 

Titre original : Pornomelancolia

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Durée : 94 mn


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