Deux minutes vingt de bonheur diront les désaxés. Un plan fixe, une caméra qui refuse obstinément de s’en aller vaquer à ses occupations, deux protagonistes, deux têtes brûlées, un cheval (ou bien était-ce un poney ?), une perruche et ce remarquable homme-orchestre que fut Rémy Bricka : tout un microcosme qui vient perturber l’étalon dandy, ce petit Doré qui se fiche des entourloupes, observant méticuleusement l’objectif de son regard trompeur, et bannissant d’un revers magistral les collègues clipesques qui polluent la petite lucarne. Rien d’exceptionnel dans ce petit tour de magie, rien d’innovant, certes, mais enfin de l’air, un véritable trou dans cette couche d’ozone, un peu de fraîcheur qui vient dynamiter l’académisme, la poussière qui s’est déposée sur le cerveau des metteurs en scènes d’un format trop longtemps mésestimé : le clip !

Boileau a raison lorsqu’il clame « Qu’en un lieu, en un jour, un seul fait accompli. Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli ». Les Limites, c’est une théâtralité excessive, une dramatisation ubuesque et bizarre d’un sentiment qui respire l’air du temps : celui d’une période complexe et déshumanisée.
Julien Doré le dit sans cesse : « Je consomme énormément, le but est de ressentir les choses. Alors je dépasse et j’aime en faire des tonnes, ça irrite ». Son clip, c’est une avalanche de non-sens, de trucs délicats et décalés, qui forcent le respect, et surtout qui esquissent certains sourires. Le ridicule ne tue pas, certes, mais il permet de ne pas trop se prendre au sérieux, et de donner, parfois, des perles qui font mouche. Refuser de filmer ce qui est dit, préférer ce qui est ressenti, peut donner du bon. Utiliser un procédé aussi simple et classique que le plan fixe démontre que Doré sait pertinemment ce qu’il fait et ce qu’il aimerait emprunter : un chemin sinueux, non pas des allées chatoyantes où la facilité coule à flot. Si ce clip est réussi, c’est qu’il étonne dans ce monde figé et formaté. Si ces deux minutes plaisent tant, c’est qu’on y est continuellement surpris (lenteur de la scène, apparition flamboyante de Rémi Bricka, personnage mythique des années 80, et refus de sensationnalisme). Aucune provocation dans cette gestuelle exquise (et savamment dosée), tout est parfaitement chronométré, tout est répété, tout est pensé. De nos jours, on appelle cela : du professionnalisme !