
Ce désamorçage immédiat des enjeux apparaît alors de loin en loin comme la réelle force du film, qui gagne jusqu’au bout à se préserver de tout scandale, à faire de son terrain d’élection l’envers du spectaculaire. Mais aussi comme sa – seule – limite : cette réserve en effet ne préservera pas toujours d’un certain ennui, voire d’une relative indifférence quant aux quelques péripéties du quotidien tenant lieu de moteur à cette histoire. Tonia, personnage attachant incarné par le très juste Fernando Santos (dont le métier de travesti dans la vraie vie fut partiellement à l’origine de l’écriture du film) est une figure de pure acceptation, sinon de résignation, dont les quelques accès de colère – notamment face aux abus, profits et lâchetés des hommes qui l’entourent – n’aboutissent jamais à un refus définitif du compromis. Cette bonté qui la caractérise participe largement de l’émotion et du fort sentiment d’injustice que l’on ressent, lorsqu’au final la maladie puis la mort prennent le pouvoir, mais ne préserve pas toujours d’une certaine perplexité vis-à-vis de ses mésaventures.

Peut-être le film aurait-il même gagné à aborder son sujet sous un angle plus « social », plus critique, un peu moins « ordinaire ». Car s’il est un domaine où le rapport de force ne peut être totalement esquivé, surtout dans le cadre de l’accompagnement d’une destinée de fiction, c’est bien celui de l’identité sexuelle (qui excède la seule question de la sexualité, tout en l’incluant bien sûr). Que Tonia, homme/femme mûr(e) soit désormais au-delà de la revendication de sa singularité, que l’affirmation guerrière de sa « différence » soit derrière lui/elle, aucun souci. Reste que la mise en perspective de cette réalité que demeure le rejet, le dégoût des « autres » à l’égard de Tonia et ses amis n’aurait pas été de trop, dans un film de plus de deux heures. Certes le surgissement, arme au poing, de Zé Maria, son déserteur de fils, ainsi que les dérapages très junkie de Rosario ne manquent pas d’intégrer une certaine violence dans sa trajectoire, mais une violence inhérente à son seul milieu. Ses principaux « adversaires » demeurent ceux qui l’aiment et inversement, comme le montre bien la dernière demi-heure du film, suivant ses derniers jours à l’hôpital. Surtout, son seul véritable ennemi, comme annoncé au départ, reste son corps, son image.
Mourir comme un homme serait en définitive l’histoire d’un bilan plutôt que d’une crise. Prime moins pour Tonia, João Pedro Rodrigues et tous les autres d’exposer sous un angle réaliste et documentaire les signes divers d’un mal être du transsexuel que de pointer la question du choix final. Là se situe la vraie beauté du film : dans l’annonce puis la concrétisation d’un retour à son origine physiologique d’un être ayant toute sa vie durant assumé sans agressivité son vif besoin d’être la « femme » qu’il a toujours été. Qu’importe au fond de mourir comme un homme, avec costume et cravate, tant que demeure, par la grâce du cinéma comme du chant le possible d’une transcendance, d’une lumineuse et éternelle émancipation de son moi profond.