Partir de l’avant. Belle devise, belle politique dont nous aimerions tous appliquer les vertus. Les configurations pénibles se ramassent à la pelle et il est difficile de nos jours de tout changer pour une autre vie, une autre extase, un autre départ en somme. Certains patientent, scrutent, dorment, réfléchissent et puis quand les cartes sont posées, c’est la débandade. Alors, les décisions pleuvent et beaucoup n’en sortent pas indemnes. Mascarades, le premier long-métrage du pétillant Lyes Salem, résume en quelques 90 minutes toute cette soif de liberté. Ce metteur en scène qui parle avec les mains, joue avec les mots et danse sur du velours, traine sa caméra du côté des Monicelli, Rouiched, Keaton (pour ne citer que quelques grands noms du burlesque), et enveloppe ces personnages d’une histoire sensible, mortellement dérangeante et finalement rafraîchissante.
Ce qui frappe d’emblée dans cette comédie du remariage, c’est le temps qui fonce à toute allure, ne donnant pas au spectateur l’envie d’aller voir ailleurs. Salem débute par un gigantesque plan séquence qui s’ouvre sur un minaret, pour se finir sur une bande de villageois s’éparpillant ici et là à la recherche d’une oasis d’apaisement. Tout est dit dans cet instantané de vie et Salem ne brouille jamais les cartes. L’image est plus importante que la parole, et l’auteur césarisé de Cousines (son dernier court-métrage) l’applique dans ses séquences virevoltantes. Ce point de départ est très important, car il caractérise un cinéma qui joue sur l’émotion, mais sans la diaboliser, refusant par la même occasion de verser dans la démagogie. Si Mascarades réussit l’exploit de faire rire, c’est en partie grâce à une construction narrative qui joue sur les codifications de la société algérienne, donc de la vie. Tout respire l’Algérie : la langue algéroise (le derja), les personnages qui certes sont des stéréotypes, mais qui peuvent être reconnus par tous, les quelques subtilités qui renvoient à des non-dits (le personnage du colonel, sorte de parabole sur les magouilles politiques), le geste comique (beaucoup de cris mais point de sang), et surtout cette envie d’humer l’évasion.

La plus belle des idées, c’est de faire adhérer son entourage à un mensonge conséquent. Plus la situation vire au gigantisme, plus l’aspect comique sera amplifié. Mounir, le frère aîné de Rym, fait croire à tout le village que sa sœur va épouser un riche homme d’affaires. Tout respire le toc et cette bêtise aurait pu être désamorcée, mais Salem est un personnage qui aime rire des situations complexes, donc son film va prendre une route problématique où se côtoieront grand dadais (Mourad Khen, toujours aussi bluffant), amant fougueux, épouse lucide (grande Rym Takoucht) et chef d’orchestre, lointain cousin d’Omar Gatlato (Mounir, le personnage mi-romantique mi-conformiste). Salem adore malmener ses personnages, il les dorlote par la même occasion, mais refuse de leur donner une raison de pleurer. Pas besoin, l’attitude en dit bien plus long qu’un monologue discordant.
Beaucoup de joie traverse ce film. Satisfaction d’observer un cinéma qui ouvre les stores de l’ennui, satisfaction de voir un cinéaste refuser la facilité en filmant une comédie (genre réputé complexe dans le cinéma), et satisfaction d’écrire un papier sur une œuvre qui va se bonifier et qui causera pas mal de torts aux détracteurs, ceux qui réchauffent leurs mains avec des braises poussiéreuses.