Magma

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Après les documentaires « Fire of Love » & « The Fire Within » : Une nouvelle mode, pour les films volcaniques ?

En 2025, deux films français ont pris le parti de croquer, à la lisière de nouveaux médias, le récit d’une crise d’information dans un contexte insulaire plus ou moins lointain par rapport à l’Hexagone. Le premier est Le Mohican, de Frédéric Farrucci, dans lequel Alexis Manenti, un humble berger corse qui souhaite conserver son terrain malgré l’insistance de la mafia, entre en résistance et en cavale contre elle, aventure commentée sur Twitter par sa nièce. Le second est Magma, de Cyprien Vial, dans lequel Marina Foïs, directrice de l’Observatoire de La Soufrière, en Guadeloupe, doit piloter la gestion d’une possible coulée, bravant avec plus ou moins de succès l’inquiétude et l’excès de zèle de Mathieu Demy dans le rôle d’un préfet. Bourrées d’opinions sur un certain nombre de problématiques contemporaines, au sujet d’une paire de territoires trop souvent pris à la légère par l’État, les deux œuvres ont très envie de mettre le cinéma de genre au service d’actualités, de glisser, via des feintes, l’urgence dans des poncifs bien connus. Le Mohican utilise l’unité d’action du film de fugitif, de maquisard, pour se dresser contre la « bétonnisation » de la Corse, soit une crise d’urbanisme qui finira bien par, un jour, devenir le problème de tout le monde, car les désastres fonciers deviennent toujours des désastres financiers. Magma, quant à lui, utilise les regards graves et les discussions houleuses des films catastrophe, l’inconfort de la vie transitoire qu’ils relatent souvent, pour dénoncer le point auquel des considérations politiques intéressées peuvent dégrader et désorganiser le quotidien (le travail, le logement) des personnes qu’elles prétendent protéger.

Des propositions engagées ? Oui dans les deux cas, mais de façon assez naïve : face à la mainmise de la binarité « avec eux / contre eux » sur les discours autour de la mafia et de l’avenir de la Corse, Le Mohicain suggère… le réseau social d’Elon Musk comme alternative, gangréné par une intelligence artificielle superflue, par une modération extrêmement lacunaire, et par un encouragement général aux propos radicaux et virulents. Et Magma, face à des prises de paroles gouvernementales contradictoires, et à des conférences de presse lestées dans lesquelles les deux protagonistes se jettent des piques, contre-propose des antennes libres à la radio et se termine sur un vlog. Si l’idée que des formes de prises de paroles ouvertes à tous sont libératrices, car démocratiques (elles sont d’ailleurs plutôt coup-de-gueulocratiques), est risible pour quiconque a réellement passé un peu de temps sur les réseaux sociaux, le problème du Mohican, et surtout, de Magma, est qu’elle est peu cinégénique. La sauce ne prend pas. La vitesse accélérée de notre époque 5G et l’amplitude visuelle qu’ont d’ordinaire les scénarios-carcans de Farrucci et de Vial, c’est comme l’eau et l’huile, ça ne se mélange pas.

Le Berger et l’Analyste. 

La solitude pesante, éreintante, caniculaire, du western d’hors-la-loi recherché, « mort ou vif », ne s’hybride pas avec la connexion constante que Le Mohican illustre, d’autre part, avec le personnage de la nièce. Et le sentiment de grandeur funeste, le dépassement total de tout sens de l’échelle connu jusqu’alors, qu’est censé évoquer l’éruption dans un film de volcan, s’injecte mal dans un film plus inspiré des images des confinements COVID qu’il ne l’est de l’éruption la Soufrière de 76. La vie est très étroite, dans Magma. Les personnages y vivent en intérieur (à l’Observatoire ou chez eux) ou dans une même poignée d’extérieurs qui continuent de revenir : un poste de contrôle de la gendarmerie, sur la route qui ramène à la zone évacuée, un marché ouvert, et une ruelle vide.

Tentant, sans doute, de s’inscrire dans une tendance hollywoodienne, nourri par un nouveau génome de films catastrophe « conscients » commentant le réchauffement climatique (Don’t Look Up, Greenland, Twisters), Magma souhaitait peut-être créer un espace franco-américain au cinéma, comme les Antilles en sont un dans l’Océan Atlantique. Vial voulait anticiper sur le futur problème qui se profile dans les Outre-mer au regard des désastres écologiques : l’ingérence gouvernementale française, déjà prouvée par la coulée de 76, la pandémie, et le scandale du chlordécone (mentionné dans les dialogues), est destinée à s’empirer au fur et à mesure que la température monte. Mais le résultat finit beaucoup plus par appartenir à Paris qu’à Los Angeles. Magma est en fin de compte très français : sortis de leur peinture tropicale, on se rend compte qu’on les a déjà tous vus, ces nœuds dramatiques à base de familles recomposées et de classe moyenne de petits commerçants.

Le Mohican et La Bédouine. 

Plus que des dialogues pas tellement brillants, plus encore qu’une relation centrale (entre Foïs et un doctorant, joué par Théo Christine, le JoeyStarr de Suprêmes) taiseuse mais pas extrêmement touchante, Magma pêche par ce qu’il néglige de montrer, par le contre-champ qu’il oublie de faire figurer. Les grosses antennes télécom qui permettent la diffusion d’ondes radios, les longs réseaux de câbles qui assurent la connexion Internet, même les data centers de Guadeloupe, ceux de Dothémare et de Baie-Mahault, sont des équipements physiques, des ajouts et des prothèses paysagistes qui taillent à même la croute terrestre l’identité d’une île. Puisque c’était l’objet du film que de nous couper l’herbe sous le pied, et de nous faire attendre une éruption qui ne viendrait jamais, façon Godot, Vial et son coscénariste Nicolas Pleskof auraient pu, sans doute auraient dû, nous accompagner dans le glissement d’une menace vers l’autre. Des anomalies sismiques dans le ventre de la bête, près du cœur de l’île, aux petites particules invisibles et intangibles qui s’immiscent partout de manière diffuse, qui trompent les gens, les induisent en erreur, les rendent moins aptes à s’entendre, à se protéger eux-mêmes et à chérir les leurs. La terreur de notre siècle : les fake news, qu’on peut vaincre seulement par la diffusion d’une real news, transcendante et zénithale.

Dans la dernière séquence de bravoure du film, guerriers rouges vêtus d’habits de protection et de masques rappelant ceux des pompiers, Marina Foïs et Théo Christine gravissent La Soufrière. Mais plus qu’à de courageux combattants du feu, mettant leurs vies en danger pour sauver autrui, ils ressemblent à des travailleurs du BTP ou à des intervenants, réalisant une gargantuesque prestation au nom d’un opérateur. Le sauvetage du monde à l’heure de la multiplication des contractuels. D’ailleurs, il y a quelque chose de la nomade de « l’économie à la tâche » chez le personnage de Foïs, qui s’apprête à être mutée à La Réunion. À quoi pouvait-on s’attendre, d’un film suffisamment paresseux pour nommer sa savante volcanologue Katia (comme Krafft) et son héros antillais Aimé (comme Césaire) ?

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Durée : 85 mn


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