Les plans s’enchaînent relativement lentement et les mouvements de caméra ne sont pas particulièrement rapides. Tout se passe comme si un air de fatalité planait sur le film, comme si tout était écrit d’avance. Souvent aussi, le procédé de la voix off parvient à instaurer une intensité saisissante : les personnages parlent mais la caméra quitte la scène pour nous montrer des images qui illustrent leurs propos.

Le film adopte, dans sa seconde partie, un ton plus ancré dans la « réalité ». Lang nous montre la soudaine descente aux enfers d’une ville de quatre millions d’habitants terrorisée par un seul tueur. La terreur s’empare de tous les esprits, les gens n’osant plus sortir, suspectant leur propre voisin d’être le tueur. Le moindre bruit, la moindre parole, la moindre rumeur sont amplifiés. Tout n’est que déraison et paranoïa. La police s’en mêle, mais son incapacité à résoudre l’énigme du tueur ne fait que davantage susciter la peur des gens. Un cercle vicieux est enclenché, si bien que la mafia intervient car ses affaires sont menacées (les rues regorgent de policiers) – cette dernière se montrera d’ailleurs bien plus efficace que la police.
Vient ensuite LA séquence d’M le maudit. Le meurtrier a été découvert, il est maintenant jugé devant la population des bas-fonds de la ville. Seul devant les gens même à qui il a inspiré tant de terreur et qui tous veulent sa mort, son plaidoyer est saisissant. Il explique ce qui le pousse à tuer, racontant comment une force occulte s’empare de sa personnalité et soumet sa raison. Finalement, cette séquence finale n’est rien d’autre qu’un duel entre deux forces occultes : celle qui pousse le meurtrier à tuer, et celle qui a instauré la paranoïa dans les quartiers de la ville. Du début à la fin, on a l’impression qu’aucune explication rationnelle ne pourrait venir à bout du mystère qui plane sur cette sombre histoire, faisant de la société prise dans son ensemble une machine à tuer dont le fonctionnement dépasse les limites de l’entendement humain.
M est bel et bien un film phare. Il y a là des plans inoubliables qui prouvent que l’on peut suggérer l’horreur, manière d’une part bien plus subtile, d’autre part bien plus efficace que de montrer la violence dans toute sa crudité. Il n’est pas donné à tout le monde d’exceller dans cette discipline. C’est le cas de Fritz Lang.