
Dit comme ça, le film a tout l’air d’un pensum démagogue et clairement trop orienté politiquement pour peser dans la balance. On voyait mal comment cette histoire d’auto-gestion d’une usine par ses propre ouvriers (en gros : « pas besoin de patron ») pouvait toucher au-delà du public acquis à sa cause, et, au fond, faire plus que de simplement conforter dans leurs idées ses spectateurs conquis d’avance, qui viennent voir ce qu’ils ont envie de voir. C’est un problème notable dans le film (qui, de toutes manières, aura du mal à attirer un public très varié), mais dont Pedro Pinho, réalisateur membre, lui aussi, d’un collectif, parvient à se défaire en croisant les genres et les trajectoires : de l’hétérogénéité du film, vient la pluralité du discours.

C’est en ça que L’Usine de rien est surprenant. Le film a l’habileté de ne pas s’embourber dans la théorie et d’en oublier l’humain, ni de s’empêtrer dans le prospect pour en délaisser le passé compliqué du pays. De nombreuses séquences de débats chevauchent le quotidien d’un jeune ouvrier et de sa femme, l’urgence de la situation côtoie l’histoire sociale du Portugal. Le tout paraît un peu fourre tout, en forme de géant bric à brac fait de tôle, de cuir, de mousse et de fer, dans un mélange parfois improbable (une séquence de comédie musicale sortie de nulle part, des excursions méta avec des entrevues face-caméra) mais toujours affranchis des formes, des codes ou des grands discours (filmiques ou politiques).
C’est la force principale de L’Usine de rien et ce qui en fait aussi un film portugais majeur dans la digne lignée des Mille et une nuits de Miguel Gomes (2015) dans un autre registre (ou dans un autre « mélange de registres ») : s’affranchir des ses chaînes politiciennes et militantes, pour nuancer son propos autant que pour diluer sa longue fresque sociale dans des tons et des genres différents.