L’Oeil invisible

Article écrit par

Une mise en scène soignée pour un propos peut-être un peu trop joué d´avance.

Habitué des petites tragi-comédies rythmant la vie contemporaine argentine, Diego Lerman (Tan de repente – 2002 ; Mientras tanto – 2007) se tourne avec ce troisième long-métrage en direction du passé récent de son pays pour interroger le tournant que représente la chute de la junte militaire en 1982. Adaptant le roman Sciences morales de son compatriote Martin Kohan, L’œil invisible se déroule au cours des semaines précédant le déclenchement de la guerre des Malouines, engagement suicidaire qui précipita la dissolution du régime. Il suit la trajectoire d’une jeune surveillante, Maria Teresa, employée au Lycée National de Buenos Aires voué à la formation des futures élites du pays. Particulièrement zélée, traquant obsessionnellement les marques de « subversion » chez les élèves, celle-ci entreprend de devenir auprès de sa direction un « œil invisible » exerçant au sein de l’établissement une vigilance de tous les instants. Un œil qui se teinte de perversion lorsque le personnage se met en quête de surprendre des fumeurs dans les toilettes des garçons, révélant des fantasmes qu’il n’assume pas, résidus d’un désir profondément asphyxié qui va se trouver soudain porté au bord de l’explosion.

Déployant une mise en scène à la fois simple et efficace, le film donne à voir les dérèglements d’une mécanique répressive à l’agonie. Le personnage de Maria Teresa en sera le support privilégié. C’est au premier abord une jeune femme stricte, telle qu’on lui demande d’être dans son travail. Son maintien impeccable se traduit par une attention exacerbée aux détails de son apparence. Mais il y a quelque chose en elle qui résiste à cette rigidité intellectuelle et émotionnelle, qui la conduit à la limite de la perte de contrôle. L’obsession vire alors à la descente aux enfers. Julieta Zylberberg, regard à la fois désirant et apeuré, fait merveille dans ce rôle. Elle compose une Maria Teresa à la limite du terrassement, dont le trouble est immédiatement perceptible à l’image. La caméra joue la carte du huis-clos. Enserrant au maximum son personnage, elle lui interdit toute respiration, portant sur elle le regard implacable de cet œil invisible auquel rien ne peut échapper.

On pourra néanmoins reprocher à Diego Lerman de laisser trop vite de côté quelques pistes simplement entre-ouvertes dans le film et dont un développement plus approfondi aurait sans doute permis de donner à son personnage une plus grande complexité, et peut-être un aspect moins allégorique. Les rapports qu’entretient Maria Teresa avec sa mère et sa grand-mère ne sont ainsi qu’à peine esquissés. Il y avait pourtant matière à faire plus à partir de cette relation qu’on soupçonne étouffante entre trois femmes vivant sous le même toit. Sans doute est-ce là un problème : le cinéaste se contente de ce soupçon qui prend forme très rapidement, puis rien ne vient s’y ajouter. Autre piste apparaissant encore moins à l’image, mais dont on devine assez vite les possibles dans les premières scènes, les personnages de surveillants apparaissant comme assez éloignés socialement des élèves : l’éventuelle relation entre l’exercice d’une autorité particulièrement rigide, voire déviante, et l’expression d’une certaine rancœur de classe. Une hypothèse qui ne sera pas poussée plus avant par le scénario. Le film fait au final un peu trop sien l’autisme de son personnage principal en se contentant d’une approche limitée et en avançant sur un terrain trop balisé d’avance.

Titre original : La Mirada Invisible

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 95 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi