« … Les Coréens, qu’ils soient riches ou pauvres, sont tous devenus obsédés par l’argent. » (1)
C’est donc l’histoire d’un pauvre type qui, pour le plaisir d’entasser de l’argent derrière sa glace, est prêt à répudier toute dignité. Dieu sait à quoi lui servira cet argent : s’acheter une Rolls flambant neuve, quelques grands crus français ou une superbe villa. L’enjeu n’est pas là et il s’agit bien pour nous de nous laisser happer, à l’image du héros, dans un gigantesque et scintillant piège à mouches tissé dès l’introduction par les buildings rutilants et les flashs des voitures. Passé le rideau de lumière, on cèdera à la berceuse, la rumeur des grosses affaires scandaleuses auxquelles on ne comprend rien si ce n’est qu’elles sont susceptibles d’éclater à tout moment, au risque de salir les murs lustrés de la demeure familiale. Faute d’en maîtriser les tenants et aboutissants, on lâchera donc très vite ces fausses pistes scénaristiques, métadiscours sédatif et aliénant voué à nous impressionner par la teneur en chiffres de tous ces nombres lancés à la volée. Ne reste plus alors qu’à s’abîmer avec bonheur dans la contemplation du mobilier design et s’étonner de ses qualités réflexives…
Plongeant ainsi au sein d’une famille d’hyper riches coréens, le film partait sur le ton de la satire sociale. La première main posée par le patriarche sur les fesses de la bonne dessinait l’ébauche d’une chronique anti-bourgeoise à la Maupassant. Il a malheureusement fallu qu’Im Sang-soo prête une conscience de dernière minute au pater familias, tombé amoureux de son employée philippine, pauvre hère condamnée à travailler dur en Corée pour nourrir ses enfants restés au pays, au prise avec un loser d’ex mari. Le drame prend alors le relais de la satire pour mieux verser dans un manichéisme éminemment confortable : une rédemption par le suicide pour le père manipulé par sa femme, mais dont la gentille fille justicière reprendra les rennes d’une entreprise pourrie depuis plusieurs générations. Peu importe la lâcheté ou l’égoïsme initial de l’un ou de l’autre car la fin justifie les moyens, semble-t-il, dans la vie comme au cinéma. Suivant cette maxime, la logique voudrait donc certainement que l’on arrive à digérer le cynisme de façade déployé pour cacher le moralisme sous-jacent du film. Raté.

Avec une bien-pensance probablement imputable à la frilosité des producteurs de Magic Mike, Soderbergh a certes creusé le mièvre sillon du conte pédagogico-moralisateur, atténuant du même coup le potentiel subversif de sa charge contre une civilisation de beaufs boulimiques, vilipendée avec une ironie acide lorsque l’un des personnages proposait carrément à son pote de tripoter les nichons de sa femme devant un écran plasma. Court-circuitant ses meilleurs effets, Im Sang-soo, quant à lui, a préféré encanailler sa prétendue diatribe politique d’un cynisme propret dont il ne fait que surveiller la mise en pli dans les décors polis et satinés, calfeutrant ses nantis dans une tour d’ivoire, sans jamais véritablement questionner les motivations qui pousseront un pauvre lambda à vouloir s’enrichir en se délestant de son âme, ni même nous interroger sur notre propre corruptibilité de consommateurs. Une place douillette pour nous autres, spectateurs ! Pourtant, à choisir, en guise de doigt d’honneur à la société du tout fric, on aurait finalement préféré que Matthew McConaughey nous présente à nouveau la raie de son cul.
(1) Note d’intention d’Im Sang-soo dans le dossier de presse du film.