
© Guillaume Coudray
Jacopo Rasmi, dans son écrit intitulé « Un cinéma muet de l’insauvable », offre des pistes d’appréhension de ses films qui, partant du silence de ceux-ci (devenu une sorte d’incontournable thématique lorsqu’on évoque l’œuvre du lituanien), invitent à voir au-delà du vide laissé par ce silence : « il est vide, mais c’est un vide qui délivre le regard, un vide ouvert et plein de visions » (1) . À l’instar de Corinne Maury, il insiste sur un cinéma où « privés du pouvoir de signification des mots (…) chaque posture, chaque déplacement, chaque regard agissent (…) comme autant de puissances déclamatoires » (2).
La qualité de ces essais tient dans leur capacité à cerner la poétique de Sharunas Bartas tout en s’accompagnant d’un mouvement d’invitation à être sensible à l’image autrement, à pousser notre regard vers les tréfonds de perception d’un cinéma qui défie l’analyse et certaines formes de langage. « Tuiles moussues – pluie sur pommiers – y voir trop clair serait dangereux » (3) écrit Jacques Sicard au sujet de Peace to Us in Our Dreams (2015) . À l’image du motif du feu repéré par Thomas Votzenlogel (“La flamme éteinte”) dans les films de Sharunas Bartas, cet ouvrage fait feu de toute rigidité dans l’approche de la poétique du cinéaste. Il affronte sa profondeur parfois insondable, son opacité, et lui redonne toute sa force cinématographique et créatrice. Du silence comme de la misère humaine qui marquent les êtres de son œuvre, et dont on a tant parlé, il est dit beaucoup mais jamais sans inviter aussi à voir « au-delà des bords » vers un élan vital si souvent ignoré lorsqu’on l’étudie. Positionnement qui donnerait le mot de la fin à Alex Descas dans The House (1997), où avec lui l’on pourrait dire au sujet des êtres du cinéma du lituanien : « des gens simples et presque sans espoir. Mais nous n’allons pas disparaître. Si je pouvais te dire à quel point je veux croire à ça ».
Sharunas Bartas ou les hautes solitudes de Robert Bonamy (dir.), De l’incidence éditeur et le Centre Pompidou , 233 pages – Disponible depuis janvier 2016.
Rétrospective Sharunas Bartas au Centre Pompidou du 5 février au 6 mars 2016.
(1) Jacopo Rasmi, “Un cinéma muet de l’insauvable”, dans Robert Bonamy (dir.), Sharunas Bartas ou les hautes solitudes, De l’incidence éditeur et le Centre Pompidou, 2015, p.188.
(2) Corinne Maury, “Trois Jours et Corridor de Sharunas Bartas : entre lieux marginalisés et silence agité des visages”, Ibidem, p.159.
(3) Jacques Sicard, “Notes en prose”, Ibidem, p.212.