
Dans les années 90, ce fut la débâcle. « On en rigole aujourd’hui, mais on ne devrait pas. C’est triste de se dire que le monopole de la série française dans les années 90 – et ces séries ont été exportées, était tenu par Jean-Luc Azoulay. La porte était fermée pour tout le monde sauf lui. Je ne veux pourtant pas croire qu’il n’y avait pas eu de bons scénaristes à l’époque ».
C’est un scénariste français dépité qui fit ce commentaire lors d’un festival audiovisuel. La nostalgie, souvent, est horrible à réaliser. TF1 régna en maitre et ouvrit une brèche dans la médiocrité, détruisant toute une histoire, tout un passé glorieux. Pas besoin de commentaire en voyant les titres suivants : Hélène & les garçons, Le Miel et les abeilles, Premiers baisers ou bien Salut les Musclés. Les collégiens de cette décennie s’en souviennent, les financiers et autres producteurs vous parleront des « 10 glorieuses » et les anges sauvages iront se dissimuler dans une grotte perdue. Impossible d’avoir une idée de la France de cette époque tant ces séries grouillaient de sages poètes blancs de rues bourgeoises et bien garnies. De temps en temps, un Noir traînait sa patte et l’on remarquait qu’il était affublé d’un handicap : sa taille. Un nain Noir, un homosexuel bodybuildé, des intellos de la classe caricaturés, un microcosme bien entretenu et qui garde encore aujourd’hui une saveur de putois.
Toujours dans la même veine, avec un budget plus intéressant mais sans pour autant friser le génie ou l’originalité, TF1 suivi par France 2 se mirent à reprendre le canevas propre au thriller pour peaufiner quelques bizarreries qui rencontrèrent un succès considérable. Navarro, Julie Lescaut, Marie Pervenche, Avocats et associés, des titres que les agents de nettoyage peuvent, sans états d’âme, se ramasser à la pelle. Largement influencée par son lointain cousin, les USA, la télévision française renforça une vision quasi conservatrice de la société et se borna à dicter ses propres lois sur le travail (L’instit en cela est un pur exemple de calme poujadiste), sur la famille (Le Vent des moissons ou Orages d’été, tonitruantes sagas estivales) et sur la patrie (Lescaut, Navarro et tout récemment, Plus belle la vie). Acceptant l’Autre, mais refusant de le placer au même niveau que le français de base, la série française devint in fine une télésuite d’ennuie et sensibilisa uniquement les ménagères de plus de 40 ans.
Aujourd’hui, c’est une autre paire de manches. La série dans sa globalité est enfin reconnue comme une valeur sûre, et surtout comme un véritable et passionnant laboratoire de recherches esthétiques et visuelles. Des revues les analysent continuellement, des départements spéciaux sont créés sur toutes les chaînes TV, et quelques festivals rendent hommage à ce format exutoire. Le hic, c’est que la France peine toujours à trouver son chemin. Au début de cette décennie, les banquiers et autres décisionnaires refusaient radicalement de verser le moindre pécule pour ce genre de film. La faute à l’ignorance. En 2008, des progrès sont à constater. France télévision veut par exemple y croire, et poursuit sa longue quête de destin public, emmené par son PDG, Patrick de Carolis, qui annonçait récemment un « virage éditorial ». La qualité n’est pas fameuse, et si le public suit les pérégrinations de Louis la brocante, dorlote la belle Clara Sheller et s’inquiète pour le docteur Fabien Cosma, les scénaristes continuent de tracer une belle ligne droite et académique. Là où France Télévision peut se vanter d’avoir dépassé tout le monde, c’est dans la production de téléfilms ou de télésuites. Les Oubliées restera à jamais comme la série la plus inventive, la plus décalée et la plus rentre-dedans de ces trente dernières années. En cela, et depuis bien longtemps, la télévision s’est pliée aux exigences de l’imaginaire, sans pour autant se prosterner devant les institutions.

Canal + reste tout de même l’espace de détente le plus fendard. Un chiffre d’affaire en hausse permet aux dirigeants de s’adonner à une forme de combativité qui frise l’extase. Pour la première fois, les scénaristes se regardent dans la glace et foncent vers une professionnalisation des sens. Mafiosa, Reporters, Engrenages ou bien La Commune, des séries qui peuvent rivaliser avec leur voisin d’outre-manche, et surtout s’exporter dans le pays de Tony Soprano. La qualité provient de la liberté de ton, de cette insolence qui défrise tout sur son passage, et surtout d’un respect envers l’objet filmique. L’exemple de la place du scénariste est typiquement représentatif du mal-être qui fait que Lescaut continue de hanter la petite lucarne : "Il n’y a pas de censure à proprement parler, mais on est face à une pyramide de la peur, une pyramide inversée. Tout en bas, il y a le scénariste. Il est libre. Il a de l’imagination, du désir. Au-dessus, il y a un directeur littéraire, le producteur, un chargé de programme, un directeur de fiction…et tout en haut les annonceurs. Plus vous montez, plus vous avez de pouvoir et plus vous avez peur. Nous on n’a pas peur, mais on n’a pas de pouvoir" Tout est dit dans les mots d’Emmanuelle Sardou, scénariste, toute la délinquance de ce lobby se retrouve dans cette explication. Et c’est regrettable.