Charmeuses de marines et impression de déjà-vu
Tiré d’une incroyable histoire vraie, Les Saphirs préfère malheureusement les paillettes à la mitraillette et la love story à l’histoire réelle. Les lignes de force du film ne sont évidemment pas passées sous silence, mais largement atténuées comme autant de contrepoints dramatiques aux romances qui occupent la place centrale. Les camps aborigènes sont expédiés en quelques images d’archives, de même que le rapt des enfants noirs à la peau claire n’est qu’un flashback quasi bucolique. La guerre du Vietnam, elle, n’est souvent que la toile de fond des performances scéniques du groupe. Alors ça chante, ça danse, ça se chamaille et ça se colle des torgnoles à l’occasion (les filles, ces chipies…). C’est très plaisant à voir, et à entendre, les Sapphires étant l’équivalent australien des Supremes. Sans trop se fouler, le film calque une bonne partie de son scénario sur celui de Dreamgirls, qui revenait sur la carrière du groupe de Diana Ross. Ce n’est pas tant la proximité musicale ou les vicissitudes des groupes qui marquent – grosso modo, on voit dans les deux films la manière dont des talents sont aseptisés pour répondre aux attentes prétendues d’un public et surtout de l’industrie musicale – que la manière identique dont l’histoire est romancée, utilisant les mêmes ressorts et les mêmes ficelles. Enlevez le disco, rajoutez le napalm et vous y êtes !

C’est au final l’arrivisme à peine dissimulé du film qui choque. On ne peut qu’être gêné par la manière dont Les Saphirs traite son sujet, voire lui manque de respect. Passe encore les émotions téléphonées surappuyées par la mise en scène, mais l’envol comme par magie des problèmes comme s’ils n’avaient jamais existé, non ! Plongés en plein bourbier, les filles semblent plus préoccupées par les muscles des militaires que les drames et dangers qui les entourent, même si évidemment une séquence de larmes de crocodile vient rappeler que nous sommes au Vietnam quand même. Ce constat est d’autant plus surprenant qu’après les avoir fait passer pour de quasi écervelées, le film embraye sur une dimension lourdement commémorative à l’esthétique power point. Le plus bel hommage du film se trouve pourtant dans certaines des premières scènes : lorsque les trois sœurs se présentent à un concours de chant et se voient dévisagées, puis ignorées par l’assistance blanche. Peu y est verbalisé, mais beaucoup de choses sont dites. On tenait là un tout autre film.