La séquence est d’une extraordinaire lisibilité et, à l’image de l’entièreté de ces Mille et une nuits, trouve un équilibre quasi parfait entre poésie et politisation. Car ce qu’elle raconte, c’est bien sûr la farce qu’était devenue la vie des Portugais, ici polie par des éléments fantasmés comme cette vache qui raconte l’histoire désolante d’un olivier millénaire. Idéalement mis en scène, le procès part de situations dramatiques avant de prendre un virage réjouissant. C’est, d’ailleurs, le tour de force du film tout entier que de rendre si inventives et passionnantes ces histoires qui, rappelons-le, ont été récoltées pour l’occasion sur une durée d’un an par une équipe de journalistes et ne formaient a priori que des faits divers de coupures de presse. A l’image de la ribambelle d’anecdotes qui constituent la dernière partie de ce volume deux : mises bout à bout, elles finissent par dire la vie d’un immeuble comme un personnage à part entière, rappelant parfois à soi L’immeuble Yacoubian (Marwan Hamed, 2006) qui, lui aussi, dressait le portrait d’un pays entier – l’Egypte – par le biais des simples étages d’un bâtiment du centre du Caire.

C’est la part la plus déchirante de ce Désolé, tant le film semble ici atteindre exactement le but qu’il s’était donné. C’est là où l’intention coïncide tout à fait avec la réalisation : que de l’anodin naisse l’éblouissement, en somme. Il y a des habitants expulsés, d’autres qui pissent dans les cages d’ascenseur ; un jeune couple qui vit de la banque alimentaire ; un autre, âgé cette fois-ci, qui se suicide, abandonnant le destin de leur chien Dixie – qui passera de foyer en foyer – à la seule solidarité de l’immeuble. Cette solidarité, c’est celle des personnages entre eux, celle de l’intérieur contre l’extérieur : là où, dans le pays, n’existent plus que des preuves d’injustice sociale, l’édifice trône dans le film comme le lieu de tous les possibles, à multiples étages architecturaux mais sans aucun étage de différenciation de l’individu. Ce n’est pas pour rien si, tout en haut, sur le toit-terrasse, se trouvent les immigrées brésiliennes qui viennent, nues, profiter du soleil. A l’heure où la Grèce n’en finit pas de se débattre face à ses créanciers (que rappellent “les hommes qui bandent” du premier volume), le film de Miguel Gomes continue de bâtir une fiction fourmillante qui irradie, beau rempart contre n’importe quelle mesure d’austérité.