C’est un éveil à une sensibilité, à une action politique que filme Bénédicte Pagnot dans Les Lendemains. Elle accompagne de fait Audrey du début à la fin, de sa position de spectatrice au moment de sa prise d’action. La caméra la suit en toutes circonstances, souvent de dos ou de profil d’abord – c’est une jeune femme assez réservée, qui croit que la politique « ne sert à rien » -, puis de face, en plans plus ou moins rapprochés quand elle commence à agir de manière plus engagée. Si l’on sent évidemment une accointance de la réalisatrice avec son propos, son film semble plus être le témoin des désœuvrements d’une génération qui a davantage de mal à s’accomplir que par le passé (le chômage, la précarité, les coups durs quotidiens traversent tout le métrage), qu’être lui-même réellement militant. Bonne nouvelle, car c’est ainsi qu’elle dresse le portrait d’une jeunesse désespérée d’avance en même temps que celui d’une fille qui, contrairement à sa mère et à sa meilleure amie, a pu échapper au destin de caissière et à une grossesse soudaine. Si Les Lendemains est parfois maladroit, il ne manque pas d’ambition : son scénario très écrit va de pair avec une mise en scène pensée, dans laquelle les mouvements de caméra répondent à ce qu’énoncent les scènes (la séquence de l’expulsion, agitée, est à ce titre parfaite).

Mais la plus grande réussite du film de Bénédicte Pagnot tient dans la confrontation entre deux mondes : la campagne d’une part, où on laisse les amis de toujours et les parents, la ville d’autre part, où on arrive avec une grande excitation mais où l’ajustement n’est pas forcément aussi facile que la nouveauté qu’elle promet. Les Lendemains ne prend parti ni pour l’un ni pour l’autre – si Audrey rejette son village d’origine, ce n’est pas par snobisme mais par désir d’une nouvelle vie. La réalisatrice s’attache avec justesse au détachement progressif d’Audrey vis-à-vis de ses années lycée, en soulignant notamment l’éloignement d’avec Nanou (elle l’appelle de moins en moins) et ses parents (elle leur rend rarement visite). C’est ce même détachement qui l’amènera à la violence politique, que la cinéaste montre, là encore, sans prendre position. Le basculement qu’elle filme est celui qui condense clivages sociaux et utopie, et qui mène à la radicalité. Et, dans un très fort dernier plan où Audrey regarde la caméra droit dans les yeux, elle laisse planer toute l’ambiguïté.