
Cette savoureuse réplique viendrait directement de la bouche de Marilyn Monroe, qui l’aurait soufflée au scénariste de Les Hommes préfèrent les blondes, Charles Lederer. Il y a certes une part de légende autour du bon mot, mais la phrase détient certainement ce qu’il faut de vérité à la lumière des Fragments parus en 2010. Ce personnage de blonde crucruche, Marilyn en joue tout au long du film, l’opposant à merveille à celui de Jane Russell, la brune flamboyante et plus intéressée par les corps huilés des athlètes olympiques présents à bord du paquebot que par l’or de richissimes magnats du pétrole. Marilyn/Lorelei, elle, préfère, les diamants. Et alors ? C’est l’une des grandes forces du film que d’oser affirmer (de manière presque amorale) la prévalence de l’argent sur celle de l’amour. Car, comme le relève fort justement son personnage, reste-t-il de la place pour l’amour lorsqu’il y a à s’inquiéter perpétuellement du manque d’argent ?
Pas si idiote, la blonde platine. Les studios voient en elle le symbole de la poule écervelée ? Peu importe : Marilyn en joue et en surjoue, face caméra et en dehors des plateaux (ses caprices sur le tournage ont failli avoir raison du film). On lui dit qu’elle n’est pas la star du film, elle rétorque "But I’m still the blonde". Il fallait cette conscience de son attrait physique pour accepter camper une Lorelei à 1500 dollars par semaine, alors que sa partenaire Jane Russell obtiendrait un cachet de plus de 100 000 dollars. Sans doute le prix à payer pour faire valoir son statut d’artiste. Car Marilyn la blonde veut être parfaite, faille-t-il reprendre jusqu’à plus soif la fameuse scène de Diamonds are a girl’s best friend, ou se laisser aller à la panique des heures durant dans sa loge, soudain sûre de n’être pas à la hauteur. La romancière américaine Joyce Carol Oates, dans son roman-fleuve Blonde (2000), sublime biographie rêvée de Marilyn, décrit avec minutie le perfectionnisme et les craintes de la star : « Quarante minutes qu’elle était assise là, parfaitement coiffée, parfaitement maquillée, les yeux fixes dans sa superbe robe en soie d’un rose ardent, gantée jusqu’aux coudes, le haut de ses remarquables seins dénudé, et des bijoux fantaisie scintillants vissés à ses oreilles et autour de son cou ravissant. Et sa bouche-con, une perfection. Temps d’interpréter Diamonds are a girl’s best friend. »

Et elle l’interprétera, Diamonds are a girl’s best friend, après l’avoir répétée toute la nuit avec Jack Cole, tournée onze fois et enregistrée directement avec orchestre à sa propre demande. Même que la chanson deviendra la plus célèbre du film. Et même que la scène sera celle choisie par les télés du monde entier pour rendre hommage à Marilyn le jour de sa mort, le 3 août 1962.
Cette force de caractère se retrouve dans les personnages de Les Hommes préfèrent les blondes qui, sous des couverts de comédie musicale légère, prend peu à peu (à dessein ?) des teintes de gentil pamphlet féministe. Car ici, ce sont les femmes, brunes ou blondes, qui tirent les ficelles. Les hommes, sans cesse ridiculisés, sont relégués à leur simple statut de mâle sexué, et remplissent des fonctions primaires : athlétiques, à baiser ; riches, à dépouiller. Dorothy recherche la beauté plastique pour un plaisir immédiat ; quant à Lorelei, peu importe l’homme, pourvu qu’il soit bien né. Une manière peut-être de « dénoncer » le machisme ambiant de l’époque, dans des scènes qui tranchent audacieusement avec les trames scénaristiques d’autres films sur le même thème. Il était déjà surprenant de voir Howard Hawks aux manettes d’un musical (le seul de sa filmographie), plus habitué qu’il était aux films « virils » tels que Scarface (1932), Le Grand sommeil (1946) ou Rio Bravo (1959) ; on le voyait mal céder aux sirènes hollywoodiennes du pur film d’entertainment. Pourtant, Les Hommes préfèrent les blondes faillit avoir raison de sa patience. Interrogé par les studios sur la manière d’accélérer le tournage du film, ralenti par le perfectionnisme capricieux d’une de ses actrices principales, il répondit : « Trois merveilleuses idées : remplacer Marilyn Monroe, réécrire le scénario et changer de réalisateur. » On sait aujourd’hui que ses recommandations ne furent pas prises à la lettre, et que Marilyn et Hawks remplirent leurs fonctions jusqu’au bout.